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4 novembre 2014 2 04 /11 /novembre /2014 07:43

Pascal Convert, Raymond Aubrac. Résister, reconstruire, transmettre, Seuil, 2011.

Aubrac: de la Résistance à la décolonisation

La figure de Raymond Aubrac, dans la mémoire collective, est inséparable de l'histoire de la Résistance. Elle occulte en grande partie le rôle joué par Aubrac après 1945, notamment dans les relations Est-Ouest et surtout dans le mouvement de décolonisation. C'est ce que rappelle la biographie que lui consacre Pascal Convert. Une biographie qui n'est pas classique puisqu'elle donne la parole à Aubrac lui-même dans une sorte de dialogue où l'historien expose des faits largement documentés tandis que le « biographié » donne son point de vue, remue ses souvenirs et analyse rétrospectivement ses prises de position.

 

Né en 1914, Raymond Samuel grandit à Dijon avec des parents qui tiennent une boutique de confection. Jeune bourgeois, il fait des études brillantes et entre à l'Ecole des Ponts pour devenir ingénieur. Élevé dans une famille juive où le souvenir de l'affaire Dreyfus reste fort, le jeune Aubrac, lors de ses études, fréquente la mouvance étudiante communiste, ce qui ne l’empêche pas de partir finir ses études dans l'Amérique du New Deal en 1938. Quand la guerre éclate, Aubrac possède donc un bagage politique marxiste mais aussi une bonne connaissance des États-Unis.

 

C'est à la fin 1939 alors qu'il est mobilisé que Raymond Aubrac épouse Lucie. Fait prisonnier en juin 1940, il s'évade peu après et se réfugie à Lyon où commence son aventure dans la Résistance. Aubrac devient rapidement un dirigeant de Libération-Sud où il s'occupe de l'Armée secrète. Arrêté une première fois, il est mis en liberté surveillée avant de tomber à Caluire en même temps que Jean Moulin. Mais grâce à sa femme, qui organise l'attaque commando du fourgon cellulaire qui le transporte, il échappe à la Gestapo. Aubrac rejoint alors Londres puis Alger.

 

A la Libération, Aubrac est nommé commissaire de la République à Marseille où il se fait remarquer par ses méthodes peu orthodoxes comme la réquisition des usines. Puis il se voit confier par le ministère de la Reconstruction la difficile mission d'organiser le déminage du territoire français. Alors que l'ombre de la Guerre froide commence à s'étendre sur l'Europe, Raymond Aubrac milite pour le maintien de relations, notamment économiques, entre l'Ouest et l'Est. Pour cela il fonde la BERIM, un bureau d'études spécialisé dans l'urbanisme, qui participe à la reconstruction en France mais aussi dans les pays d'Europe de l'Est. Compagnon de route du PCF il fréquente alors Jean Jerome ou Doumeng le milliardaire rouge, tandis que la BERIM devient un intermédiaire indispensable pour les relations commerciales avec les pays du bloc de l'Est.

 

Cette proximité avec le PCF explique que c'est chez les Aubrac que s'installe Ho Chi Minh en 1946 lors des négociations à Paris. Une amitié naît entre les deux hommes et c'est naturellement, qu'après une carrière de fonctionnaire international à l'ONU et à la FAO, Aubrac devient, à la demande de Kissinger un intermédiaire entre Nixon et les Vietnamiens à la fin des années 1960.

 

Alors qu'il pourrait goûter une retraite paisible, l'ouverture du procès Barbie en 1987, remet Raymond Aubrac sur le devant de la scène. Jacques Vergès, l'avocat de Barbie, insinue qu'Aubrac a été un agent double dans la Résistance, accusation que reprennent certains comme Gérard Chauvy. Les débats sont violents et certains historiens, pour qui la parole des témoins est suspecte, instruisent le procès des Aubrac.

 

Malgré ces attaques, Raymond Aubrac poursuit, après la mort de Lucie en 2007, son combat pour que la mémoire de la Résistance ne s'éteigne pas, notamment en visitant les établissements scolaires. Il décède en avril 2012 à l'âge de 97 ans quelques mois seulement après la sortie du livre de Pascal Convert.

 

Cet ouvrage, épais, est une plongée dans l'histoire du 20e siècle, de la Résistance à la décolonisation. Il dresse surtout le portrait d'un homme qui fut toujours fidèle à ses convictions de jeunesse, un optimiste de nature, un combattant de la liberté et de la paix. Un homme qui, s'il ne renia rien de son passé, fut également lucide sur ses erreurs.

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30 octobre 2014 4 30 /10 /octobre /2014 07:56

La mort de Horst Wessel.

Horst Wessel est un militant type du parti nazi berlinois de la fin des années 1920. Né en 1907, ce fils de pasteur échoue lors de ces études universitaires. Victime de déclassement, il devient chauffeur et ouvrier et, malgré ses opinions nationalistes, se déclare socialiste. Il rejoint le Parti nazi en 1926 et s'engage dans la SA dans le quartier de Bötzow. Le jeune Wessel se fait rapidement remarquer pour son ardeur et sa motivation, notamment par Goebbels qu'il rencontre à plusieurs reprises. En 1928, Wessel est affecté à l'équipe de la SA de l'Alexanderplatz et en 1929 il prend la direction de la SA-Sturm 5 qui agit dans le quartier ouvrier de Friedrichshain. Cette équipe se fait remarquer par sa brutalité mais également pour son prosélytisme parmi les ouvriers, notamment communistes. Wessel organise ainsi une clique musicale, sur le modèle de celles dirigées par les communistes, pour animer les manifestations nazies et qui rencontre un certain succès.

 

Wessel fait rapidement parler de lui autour de l'Alexanderplatz, le quartier de la prostitution et du crime qui est aussi un quartier prolétaire dominé par les communistes. Pour s'implanter Wessel n'hésite pas à hanter les tavernes et les bars louches pour faire de la propagande, recruter des voyous ou retourner des militants du PC. Il devient vite une figure détestée par les militants communistes. C'est dans l'un de ses bars qu'il s'entiche d'une prostituée. Pour vivre cette romance il quitte le domicile parental pour sous-louer une chambre chez une certaine Elisabeth Salm. Quand Wessel décide que son amie vivra dorénavant avec lui, les relations avec sa logeuse se tendent en raison de différents concernant le loyer. Au début de 1930 Élisabeth Salm veut expulser Wessel de l'appartement mais cette veuve ne sait comment y parvenir. Elle décide de se tourner vers les anciens camarades de son défunt mari, lui même membre du KPD et du Rot Frontkämpferbund. Les militants qu'elle rencontre l'écoutent poliment jusqu'au moment où elle donne le nom de son locataire indésirable. Wessel possède alors une solide réputation de nazi accrocheur et persuasif. L'occasion de lui donner une leçon semble trouvée.

 

Le 14 janvier 1930 un groupe de militants et sympathisants communistes se rend donc à l'appartement d'Elisabeth Salm. Craignant que Wessel ne soit armé, ils ont demandé à deux militants, qui sont également connus pour être des membres du Milieu, Erwin Rückert et Albrecht Höhler, de les accompagner avec des armes. Le groupe frappe à la porte de la chambre de Wessel qui s'y trouve avec sa compagne et une amie. Attendant la visite d'un camarade de la SA, Wessel ouvre. Höhler lui tire alors une balle en plein visage. Le jeune SA grièvement blessé est transporté à l'hôpital où il meurt cinq semaines plus tard le 23 février.

 

Le KPD se retrouve alors dans une position difficile car il ne peut assumer ce meurtre qui a peu à voir avec de la légitime défense. La situation est d'autant plus délicate que si la violence politique dans les lieux publics est devenue chose banale et acceptée, l'attaque contre Wessel est la première du genre à se dérouler dans un lieu privé. Cela apparaît d'autant plus intolérable à la population que souvent, communistes et nazis sont voisins de paliers et qu'une trêve tacite sanctuarise les habitations. Le désavouer publiquement signifierait à contrario que le Parti ne contrôle pas les initiatives militantes de sa base. La direction communiste berlinoise réunit le commando qui a réalisé l'attaque pour le prévenir qu'elle fera abattre celui qui voudrait parler de l'affaire. La presse communiste affirme qu'il ne s'agit que d'un règlement de comptes entre souteneurs et fait pression sur Höhler pour qu'il témoigne en ce sens.

 

La mort de Horst Wessel, dont les funérailles sont l'occasion d'une formidable démonstration nazie organisée par Goebbels, n'entrave pas le développement du national-socialisme dans la capitale du Reich. Il attire au contraire de nouveaux adhérents pour qui Wessel apparaît comme un martyr. Le nombre de tavernes berlinoises contrôlées par les nazis, qui sont autant de bases de départ que l'enjeu d'une lutte féroce avec les communistes, quintuple entre 1928 et 1931. La SA dirigée par Walter Stennes compte près de 3 000 membres dans la capitale. Le 10 septembre 1930, 100 000 personnes se trouvent réunies à l'extérieur du Palais des Sports dans l'espoir d'entendre le discours que fait Hitler. Quatre jours plus tard, le Parti nazi, avec 18% des voix aux élections législatives, devient le troisième parti de la capitale après les communistes et les sociaux-démocrates. Il rassemble surtout dix fois plus que voix qu'en 1928.

 

Les communistes ne tirent aucun avantage de la mort de Wessel puisque le KP refuse d'endosser sa responsabilité et de faire des tueurs des héros antifascistes. Les autorités prennent au contraire prétexte de la mort de Wessel pour redoubler la répression contre les organisations communistes dont le RFB qui continue à fonctionner de manière clandestine comme une élite militaire. De nouvelles formations naissent également pour encadrer militairement les militants comme l'Antifaschistische Junge Garde fondée en juillet 1929 mais qui se trouve rapidement décimée par la répression policière.

Horst Wessel et son escouade de SA à Nuremberg

Horst Wessel et son escouade de SA à Nuremberg

La bataille des tavernes

A partir d'avril 1931, les communistes lancent une campagne contre le réseau des tavernes qui s'infiltrent de plus en plus profondément dans les quartiers ouvriers. Les patrons de ces tavernes ont toujours mis leurs établissements à la disposition des réunions communistes ou social-démocrates. Les auditoires sont autant de consommateurs mais avec la crise les clients se font plus rares et ceux qui viennent aux réunions politiques dépensent moins. Des patrons répondent donc favorablement aux sollicitations des nazis qui, en échange d'une clientèle régulière et solvable car appointée par le parti, demandent d'utiliser les tavernes comme des casernes pour les SA, des bases brunes en territoire rouge. Pour les communistes la fermeture de ces tavernes devient un objectif tactique essentiel. Le 9 septembre à Kreuzberg une attaque coûte la vie à une sentinelle nazie mais c'est au mois d'octobre que les communistes lancent une vaste offensive sur le quartier de Neukölln contre les tavernes tenues par les nazis.

 

Ces attaques sont bien préparées et perpétrées par de petits groupes qui agissent comme des commandos. Elles se déroulent selon un schéma que résume bien l'action organisée le 15 octobre 1931 contre une taverne de la Richardstrasse. Les militants des organisations antifascistes dirigées par les communistes convoquent une manifestation de masse à environ un kilomètre de la taverne dans le but de détourner l'attention de la police. Durant ce temps un petit groupe armé dirigé par un dirigeant local du KPD se dirige vers la taverne. Dans la rue entre 30 et 50 personnes s'approchent de la taverne et crient « A bas le fascisme » et chantent l'Internationale. Quand le patron de la taverne et les SA sortent dans la rue, le cortège s'arrête et un coup de feu est tiré. Quatre à cinq hommes tirent alors une vingtaine de coups de feu tandis que la foule de manifestants se disperse et que les tireurs prennent la fuite.

 

Le raid est apparemment un succès puisque le patron a été tué et la taverne fermée. En octobre et novembre 1931 ces attaques coûtent la vie à 14 nazis contre six communistes ce dont se félicitent les dirigeants communistes berlinois. Mais trois mois après sa fermeture, la taverne de la Richardstrasse ouvre à nouveau ses portes tandis que la police a arrêté 22 personnes impliquées dans son attaque. Les manifestations du KPD contre ces tavernes sont aussi de plus en plus soigneusement attaquées par les SA et la police. Les communistes sont alors en infériorité tandis que les tavernes nazies prospèrent. Les actions des combattants rouges ne font pas non plus l'unanimité au sein de la direction du KPD et leur utilité ainsi que les méthodes de lutte employées font l'objet de vifs débats.

 

 

La résolution de novembre 1931.

A l'été 1931 la situation du Parti communiste est des plus précaires puisqu'à la limite de la légalité, surtout après le meurtre de deux responsables de la police berlinoise dans le cadre de la campagne pour le référendum demandant la dissolution du gouvernement prussien social-démocrate. La police porte alors des coups de plus en plus rudes au KPD et l'activisme antinazi ne peut qu'inciter un peu plus le gouvernement à jeter les communistes dans une illégalité que refuse la direction. A la suite de rencontres à Moscou entre les dirigeants allemands et ceux du Komintern, la Centrale du KPD adopte la résolution du 31 novembre 1931 qui fait la distinction dans la lutte contre les nazis entre les actions de masse encouragée et la terreur individuelle qui est fortement condamnée. La direction craint en effet que la spontanéité qu’entraîne cette dernière ne finisse par nuire à la discipline militante.

 

La résolution provoque une rupture au sein du mouvement communiste et déjà au sein de la direction. Heinz Neumann y est hostile. Pour lui les actions des groupes locaux n'ont pas besoin de recevoir l'accord des organes centraux pour être efficaces. Un système de commandement trop centralisé ne peut en outre que freiner les actions défensives dans les quartiers ouvriers contre les attaques nazies. Neumann est néanmoins mis en minorité et sera bientôt évincé de la direction. Mais plus grave est la rupture qui se produit avec les militants de base qui affrontent les SA dans la rue et qui accusent de lâcheté et de trahisons les dirigeants. Surtout la résolution ne met pas fin aux actes d'indiscipline et les groupes de combats locaux posent dorénavant un problème politique délicat. Pris dans l'engrenage de la logique œil pour œil contre les nazis ils développent des comportements proches de ceux des gangs, basés sur la défense d'un territoire par la violence. Le KPD en vient donc, contrairement au marxisme orthodoxe, à exercer son hégémonie, non sur les usines, mais sur les marges des quartiers populaires. A coté du militant modèle, le jeune ouvrier politisé, gravite dans les organisations communistes un lumpenprolétariat qui flirte avec la délinquance. Des bandes de jeunes existent depuis longtemps dans les grandes villes allemandes mais avec la crise de 1929 ils tendent à se politiser et rejoignent en particulier des formations paramilitaires, nazies ou communistes. Le mélange explosif né de cette rencontre est condamnée par la direction communiste d'autant qu'elle cherche alors à séduire les ouvriers acquis au nazisme.

 

Les dirigeants communistes sont en effet conscients que les nazis ont brisé le monopole de la contestation ouvrière qu'ils possédaient jusqu'alors. Là où la violence ne donne pas de résultats probants le KPD change donc de tactique et Berlin devient un champ d'application privilégié. Le 1er novembre 1931, la direction communiste de la région de Berlin-Brandebourg salue les « travailleurs nationaux-socialistes » et les partisans ouvriers des nazis qui combattent honnêtement le capitalisme. Les communistes reconnaissent ainsi que les nazis ont réussi à s'implanter dans la classe ouvrière berlinoise contestant leur monopole sur ce terrain. La SA ouvre en effet des soupes populaires et à Noël les militants nazis au chômage sont invités à passer les fêtes chez les militants ayant un emploi.

 

En 1932, le parti nazi fait une percée décisive à Berlin puisqu'il compte près de 40 000 membres. En mars, il réussit à réunir 80 000 personnes dans le parc du Lustgarten. Le 4 avril, 200 000 personnes assistent à un meeting en plein air d'Hitler. L'influence des nazis progresse y compris dans les entreprises. En novembre 1932, ils organisent avec les communistes une grève contre la réduction des salaires des employés des transports publics berlinois. Des piquets de grève communs voient même le jour. Cette action renforce l'implantation nazie dans les quartiers ouvriers de la capitale. Cette année, la SA sous les ordres de Heinrich von Helldorff regroupe à Berlin plus de 16 000 membres. Après une interdiction d'avril à juillet, la SA, sûre d'elle-même, installe la violence dans les rues, contribuant à l'aggravation de la crise politique que vit l'Allemagne à l'hiver 1932-1933.

 

Malgré les détours et tournants de la ligne officielle, largement dictée par Moscou, les militants communistes continuent à vouloir tenir, par la force, la rue. Ils organisent pour cela des formations militaires de tailles variables. Les Rote Betriebswehren ont pour domaine privilégié les entreprises tandis que la rue est celui du Kampfbund gegen der faschismus où se retrouvent d'ailleurs des anciens du RFB. Cette organisation qui connait son apogée au début de 1931 décline par la suite et le flambeau est repris par l'Antifaschistiche Aktion qui naît à Berlin le 12 juillet 1932.

 

Ces groupes poursuivent le combat jusqu'en janvier 1933. Quand les SA fêtent l'arrivée d'Hitler à la Chancellerie par des défilés aux flambeaux, les groupes communistes mènent la résistance notamment dans les quartiers ouvriers. Une fusillade à Charlottenburg cause la mort d'un policier et d'un SA. Mais ce ne sont là que des actes isolés. Le degré de violence de la persécution nazie à travers les arrestations arbitraires et l'ouverture des camps de concentration entraînent rapidement la disparition des résidus des groupes de combat communistes.  

Défilé du Front rouge à Berlin

Défilé du Front rouge à Berlin

Bibliographie.

James M. Diehl, Paramilitary Politics in Weimar Germany, Indiana University Press, 1977.

 

Eve Rosenhaft, Beating the Fascists ? The German Communists and Political Violence, 1929-1939, Cambridge University Press, Cambridge, 1983.

 

Dirk Schumann, Political Violence in the Weimar Republic, 1918-1933: Fight for the Streets and Fear of Civil War, Berghahn Books, 2009 (ce livre est initialement paru en allemand en 2001).

 

Daniel Siemens, The Making of Nazi Hero. The murder and myth of Horst Wessel, I.B.Tauris, 2013, (ce livre est paru initialement en allemand en 2009).

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communismeetconflits - dans Communisme allemand Allemagne de Weimar
28 octobre 2014 2 28 /10 /octobre /2014 07:50

A partir de 1929, la situation générale de l'Allemagne connaît un profond changement à la suite du krach boursier américain. La crise économique qui frappe le pays se manifeste par une hausse importante du chômage. Elle entraîne également un processus de radicalisation politique qui se traduit au quotidien par la montée de la violence politique, surtout entre communistes et nazis. L'un des enjeux majeurs de cette lutte est le contrôle de la capitale du Reich, Berlin. Pour les communistes, la ville rouge, est un bastion qui doit faire rayonner le communisme sur toute l'Allemagne. Pour les nationaux-socialistes, dont le mouvement est alors essentiellement bavarois, s'imposer à Berlin est indispensable pour apparaître comme une véritable force nationale.

 

Berlin devient un champ de bataille entre deux mouvements pour qui l'usage de la force est jugé comme légitime dans le cadre de la compétition politique. Cette guerre de rue dure jusqu'en 1933 et le moment où les nazis s'emparent du pouvoir pour utiliser la violence d'État afin d'écraser impitoyablement leurs adversaires.

 

Il ne s'agit pas ici de faire le récit de quelques rixes mais de montrer les phases d'un conflit urbain de basse intensité. De mai 1930 à novembre 1931 ce ne sont pas moins de 31 personnes qui trouvent la mort dans des combats de rue à Berlin. Le nombre des blessés est infiniment plus élevé et cela dans la capitale d'une démocratie parlementaire en temps de paix.


 

Les nazis s'implantent à Berlin.

Le 7 novembre 1926, un homme de 29 ans descend du train à la gare de Berlin-Anhalter avec pour mission de conquérir Berlin. Il s'agit de Joseph Goebbels qui vient d’être nommé Gauleiter, c'est à dire chef régional, du Parti nazi à Berlin. La mission qui lui est confiée semble à priori difficile voire même impossible.

 

Quand Goebbels arrive à Berlin, le Parti nazi ne compte que 49 000 membres dans toute l'Allemagne et seulement une centaine dans la capitale du Reich. L'organisation nazie dans la ville est inexistante. Le siège du mouvement se trouve dans une cave sombre et enfumée de la Potsdamerstrasse. Avant la fin de l'année Goebbels loue un nouveau local plus présentable sur la Lützowstrasse et expulse les bons à rien et les fauteurs de troubles pour mobiliser le reste des militants. Moins d'une semaine après son arrivée, il organise une marche dans le quartier ouvrier de Neukölln, bastion communiste, qui dégénère rapidement en bagarres de rue.

 

Dans les années 1920, Berlin est selon les mots mêmes de Goebbels, « la ville plus rouge d'Europe en dehors de Moscou ». Les partis marxistes, c'est à dire le Parti social-démocrate (SPD) et le Parti communiste (KPD) remportent plus de 52% des suffrages aux élections municipales de 1925. La tache que se fixe le nouveau Gauleiter de Berlin est à la fois simple et improbable: ravir la suprématie sur la capitale par le biais d'une attaque frontale contre ses principaux opposants, les communistes et les sociaux-démocrates.

 

Pour symboliser cette ligne Goebbels organise une réunion à la Pharussäle, une salle de meeting dans le quartier ouvrier de Wedding et souvent utilisée par le Parti communiste. Cette intrusion dans un fief rouge est bien entendue considérée comme une provocation et la réunion qui se tient le 11 février 1927 se transforme en affrontement violent où les verres de bières et les chaises servent de projectiles. Mais Goebbels marque des points puisque les quelque 200 communistes présents ont été chassés de la salle.

 

L'instrument de la stratégie nazie à Berlin est la SA (Sturm Abteilung) et ses chemises brunes. La SA est née en 1921 en Bavière et pendant longtemps elle reste une organisation essentiellement régionale, principalement en Bavière. A Berlin, elle est issue des restes du corps-franc Rossbach et ne fait sa vraie apparition qu'au printemps 1926 avec moins de 200 membres sous la direction de Kurt Daluege. Recrutés principalement parmi les chômeurs, les apprentis et les employés, les SA sont des « soldats politiques » dont la tache essentielle réside dans la conquête de la rue. Il s'agit d'attiser les tensions dans la capitale jusqu'au point de rupture.

 

Goebbels prend aussi pour cible les autorités sociales-démocrates de la ville, notamment le chef adjoint de la police Bernhard Weiss qui devient la cible principale d'une campagne antisémite. Goebbels l'affuble du sobriquet d'Isidore et ne rate aucune occasion de tourner les policiers en ridicule. Les SA prennent également plaisir à défiler en chantant des chansons satiriques ou ordurières sur Isidore. Cette impertinence s'accompagne aussi de chahut. Ainsi lors de la projection le 5 décembre 1930 du film pacifiste « A l'ouest rien de nouveau », les SA lâchent des souris dans la salle du cinéma Mozart qui font hurler les femmes présentes et nécessitent l'interruption de la projection. Mais l'essentiel de l'activité de la SA reste la bataille de rue, là où se forge un sentiment d'unité et de camaraderie.

 

Cinq jours après que Hitler ait tenu son premier discours à Berlin le 1er mai 1927, la police fait interdire le parti nazi dans la capitale. C'est à ce moment que Goebbels fait la preuve de son génie dans cette guerre civile insidieuse qui mine la République de Weimar. Pour cela il s'inspire des mémoires d'un des fondateurs du Parti social-démocrate, August Bebel, dont le parti a dû affronter les affres de l'illégalité après l'adoption par Bismarck des lois anti-socialistes dans les années 1880. Les nazis créent alors différents groupes et associations: équipes de bowlings, cercles d'épargnants ou encore clubs de natation pour continuer à se réunir. Goebbels lance aussi en juillet 1927 le journal Der Angriff (L'Attaque) pour disposer d'un moyen de propagande supplémentaire à Berlin.

 

Les succès sont d'abord modestes. Lors des élections législatives de mai 1928, seul 1,6% de Berlinois donnent leurs voix aux candidats nazis. Mais la campagne électorale permet de lever provisoirement l'interdiction du NSDAP à Berlin et autorise ainsi Goebbels à faire partie des 12 élus nazis au Reichstag. Cette élection n’entraîne pas l'abandon de la stratégie d'opposition extraparlementaire menée jusque là, alors que les nazis continuent à créer des sections dans les quartiers et les entreprises. En 1928 un premier rassemblement au Sportspalast réunit plusieurs milliers d'auditeurs. En 1929, au moment des élections municipales, le NSDAP rassemble près de 6% de suffrages et envoie 13 représentants au parlement de la ville.

Josef Goebbels en 1926

Josef Goebbels en 1926

La riposte communiste.

A la fin des années 1920, les communistes sont les principaux adversaires des nazis dans la conquête de Berlin. Dirigés par Walter Ulbricht, le communisme berlinois contrôle les quartiers ouvriers de Neukölln ou Wedding et peut s'appuyer pour cela sur une organisation paramilitaire fondée en 1924, le Rot Frontkämpferbund.

 

Le RFB est officiellement une organisation d'anciens combattants mais elle est fondée en 1924 essentiellement pour regrouper les anciens des Centuries prolétariennes après l'échec de l'insurrection d'octobre 1923. Les militants, dont la moitié ne sont pas membres du KPD, portent l'uniforme, prêtent un serment de fidélité et défilent au pas en rang serré. L'organisation compte rapidement des dizaines de milliers de membres et se dote d'une branche jeune, le Rote Jungfront. Le destin du RFB se joue en 1929 avec le tournant « classe contre classe » initié par le Komintern. Ce dernier se traduit par la dénonciation de la social-démocratie qui devient dans le vocabulaire communiste le social-fascisme. Pour Moscou l'Allemagne entre dans une période d'intensification de la lutte de classe où l'adversaire le plus dangereux est le SPD, ultime défenseur du capitalisme. La confrontation est particulièrement rude à Berlin capitale du Land de Prusse, gouvernée par les sociaux-démocrates. Le 1er mai 1929, les combats entre manifestants communistes et policiers font 33 morts dans la capitale. Peu après les autorités interdisent le RFB mais ce dernier continue à exister de manière clandestine et sans uniforme.

 

Pendant que l'activisme communiste a pour cible principale la social-démocratie, la SA recrute discrètement dans les quartiers populaires grâce à une propagande qui insiste sur les éléments antibourgeois du programme nazi. L'organisation des chemises brunes se développe ainsi quasi-clandestinement entre mai 1927 et la fin de 1928 où elle entame la lutte pour les tavernes. Ces lieux sont d'une importance capitale dans la socialisation populaire. C'est en effet dans les tavernes que les ouvriers se retrouvent et surtout se politisent. Le 22 août 1929 deux tavernes communistes sont ainsi attaquées par le SA-Sturm n°5 que dirige le jeune Horst Wessel. Les attaques se multiplient en septembre puis les mois suivants. La tension monte progressivement à Berlin et les affrontements de rue prennent de l'ampleur pour connaître un pic en février 1930.

 

La direction du KPD ne commence à prendre au sérieux la menace fasciste à Berlin qu'en 1929 et cherche à adapter son organisation pour lutter contre les nazis. L'attitude des communistes envers la violence est alors équivoque. Ils ne condamnent pas son utilisation comme moyen politique mais cherchent à lui donner un caractère de masse afin de mobiliser l'ensemble du prolétariat dans des actions de grandes ampleurs contrôlées et maîtrisées par les cadres de la direction. Mais cette stratégie s'avère inefficace localement et elle laisse la place à une violence plus individuelle et diffuse qui repose sur l'existence de bandes réduites.

 

L'éparpillement de la violence communiste qui s'opère alors prend aussi sa source dans la crise économique. Si la violence de masse préconisée par la direction centrale communiste suppose de mobiliser les ouvriers rassemblés sur leurs lieux de travail, le développement du chômage transforme rapidement le KPD berlinois en un parti de sans-emplois. Le centre de gravité du Parti se déplace alors des usines aux quartiers ouvriers qui sont déjà la cible de l'activisme nazi. Dans ces quartiers, l'action de la SA tend à ébranler les fondements de la domination communiste et menace également la vie des militants. La violence prolétarienne devient l'apanage de bandes de jeunes chômeurs qui engagent une guerre des rues avec les nazis. Souvent d'initiatives locales, ces combats naissent parfois de manière spontanée sans le contrôle du parti qui ne peut alors ni désavouer, ni appuyer ces groupes. Mais cette lutte est vouée à l'échec en raison des conditions où elle est menée comme le montre l'affaire Wessel.

Un défilé du Front rouge allemand en 1927

Un défilé du Front rouge allemand en 1927

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communismeetconflits - dans Communisme allemand Allemagne de Weimar
23 octobre 2014 4 23 /10 /octobre /2014 07:46

2e Guerre mondiale n°56 (octobre-novembre 2014), 2e Guerre mondiale-Thématique n° 36.  

De Kharkov à Koursk

Le dernier numéro de la revue 2e Guerre mondiale livre un article sur l'Ukraine durant la Seconde Guerre mondiale par Vincent Bernard. L'essentiel y est. Mais l'article ne faisant que deux pages, le lecteur reste sur sa faim alors que ce sujet est en soi passionnant et trop mal connu. Il aurait fallu, à notre avis, un article plus long afin de montrer la complexité de la situation ukrainienne durant la Seconde Guerre mondiale. Cela aurait aussi permis de mettre en évidence l'instrumentalisation politique dont cette période est l'objet dans le cadre du conflit civil qui embrasse actuellement ce pays.

 

Signalons également dans ce numéro un dossier sur Joachim Peiper par Stéphane Mantoux qui est l'occasion d'un article sur la contre-offensive de Kharkov où s'illustra Peiper. Concernant le front de l'Est, Stéphane Mantoux est l'auteur d'un numéro thématique sur le matériel utilisé lors de la bataille de Koursk. Les amateurs du genre apprécieront d'autant que les profils présentés sont assez réussis et les descriptions de qualité. L'auteur a également pris soin de livrer une copieuse bibliographie, ce qui fait d'ailleurs tout l’intérêt de ce numéro.

De Kharkov à Koursk
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21 octobre 2014 2 21 /10 /octobre /2014 07:28

Alain Frerejean, Tito, Truman. Le coup d’arrêt à Staline, La Bisquine, 2014.

Tito et Truman

La biographie parallèle est un genre ancien qui connaît toujours la faveur des auteurs comme le prouve le livre d'Alain Frerejean. Ce dernier n'est d'ailleurs pas à son coup d'essai puisqu'en 2013 il fut l'auteur d'une biographie croisée de Churchill et Staline. Ici il s'attaque à deux personnages moins flamboyants, Tito le chef partisan puis dirigeant de la Yougoslavie et Harry Truman, le 33e président des États-Unis. Leur point commun réside dans leur opposition aux desseins expansionnistes de Staline aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale.

 

L'auteur axe la première partie de son ouvrage sur Tito dont il décrit l'enfance, la jeunesse, les tribulations dans l'Europe en de la Grande Guerre, le parcours de militant communiste et enfin le rôle de chef des partisans. Puis il s'attache à Truman, un homme modeste du Midwest, un petit boutiquier qui connaît la faillite avant de se lancer dans la politique où il se fait remarquer pour son intégrité et son pragmatisme. Voici donc deux destins bien différents. C'est la guerre et l'occupation allemande de la Yougoslavie qui propulse Tito chef des partisans. Il est reconnu par les Alliés occidentaux comme un partenaire ce qui lui permet de marginaliser ses adversaires nationalistes. Lors de l'effondrement de l'Allemagne, ses partisans libèrent la plus grande partie du pays sans l'aide des Soviétiques et Tito prend en main le pays.

 

Pour Truman ce sont les combinaisons de la machine démocrate qui le propulse vice-président des États-Unis lors du 3e mandat de Roosevelt. Il faut le décès de ce dernier pour que Truman devienne, presque accidentellement président. C'est lui qui prend la décision de lancer des bombes atomiques sur le Japon, c'est lui qui négocie avec Staline à Potsdam. Peu à peu la Guerre froide se profile. Si dans un premier temps Truman se montre conciliant, rapidement il prend conscience des desseins soviétiques. Le coup de Prague le décide à s'engager plus avant contre l'URSS. Il soutient le gouvernement monarchiste grec contre les communistes et met sur pied le plan Marshall pour relever les économies de l'Europe. Surtout il affronte avec courage l'épreuve de force avec Staline lors du blocus de Berlin en 1948.

 

Après 1945 Tito impose son pouvoir en Yougoslavie et se montre plus radical que les autres démocraties populaires. Mais rapidement il refuse la tutelle soviétique ce qui conduit en 1948 à la rupture avec Moscou. Si Staline essaye de déstabiliser la Yougoslavie, organise des projets d'attentat contre Tito, il ne recourt pas à la force armée contrairement à ce qui se passera en 1956 à Budapest et en 1968 à Prague. 1948 marque ainsi le rapprochement, au départ improbable entre les États-Unis et la Yougoslavie socialiste. L'auteur retrace ensuite avec détail le reste de la présidence Truman, notamment la guerre de Corée, puis plus succinctement sa vie jusqu'à sa mort en 1972 ainsi que celle de Tito.

 

L’intérêt de ce livre est de se concentrer sur deux personnalités mal connues mais dont le rôle fut essentiel. Néanmoins l'auteur fait preuve d'un certain manichéisme en présentant face à face un Truman bon mari, intègre, voué exclusivement à la défense du monde libre face à un Tito mégalomane, mauvais père, coureur de jupons, retors et criminel. Surtout le lecteur peut regretter que l'auteur ne développe pas plus la question des liens entre Américains et Yougoslaves face aux Soviétiques.

 

Le livre d'Alain Frerejean, d'une lecture agréable et aisée, s'il n'évite pas les clichés et reste trop souvent factuel, est néanmoins une bonne introduction pour ceux qui veulent découvrir la genèse et le début de la Guerre froide.  

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16 octobre 2014 4 16 /10 /octobre /2014 07:47

Françoise Thom, Beria, le Janus du Kremlin, Éditions du Cerf, 2013.

Beria

Le personnage de Beria est inséparable, dans la mémoire collective, de l'époque la plus sombre du communisme soviétique. Bourreau de Staline, une tenace légende noire continue d'entourer ce personnage mystérieux qui est devenu un des symboles des crimes staliniens. C'est à ce personnage sulfureux que Françoise Thom a consacré une volumineuse biographie qui, disons-le, est une œuvre maîtresse dont l'ampleur dépasse de loin la personne de Beria.

 

L'historiographie khrouchtchévienne est en grande partie responsable de l'image négative de Béria qui apparaît alors comme un exécutant brutal, un dépravé qui ne se distingue de ses prédécesseurs, Yagoga ou Ejov, que par sa ruse et sa capacité à manipuler Staline. Françoise Thom, sans rejeter la part sombre de Beria qui fut un exécutant fidèle des ordres de Staline, dresse le portrait d'un fin politique, d'un réformateur privilégiant le pragmatisme à l'idéologie.

 

Rien ne semble prédestiner Beria au rôle qui sera le sien. Né dans une famille pauvre de Géorgie, ses parents lui font néanmoins faire des études. Il côtoie les cercles socialistes mais sans devenir un militant actif. Après un séjour sur le front pendant la Première Guerre mondiale, il retourne à Bakou en proie à la révolution. Là il travaille pour le service de renseignements du Moussavat, le parti nationaliste azéri. Il rejoint néanmoins les bolcheviks avant d'intégrer la Tcheka au début des années 1920. Intelligent et retors il gravit les échelons de la hiérarchie avant d’être remarqué par son compatriote Staline qui le fait nommer à la tête du PC de Géorgie puis le nomme, en 1938, chef du NKVD. L'après-guerre est difficile pour Beria qui, même s'il dirige le projet nucléaire soviétique, devient la cible de Staline. La mort du dictateur en 1953 semble le sauver mais 3 mois plus tard il est arrêté et exécuté.

 

La mort de Beria est-elle le premier pas de la destalinisation ? Pour Françoise Thom c'est plutôt l'inverse. En effet, Beria, après la mort de Staline, lance toute une série de réformes qui remettent en cause l'hégémonie du PC, desserrent l'étreinte soviétique sur les minorités nationales en URSS mais également sur les démocraties populaires. Beria est même prêt à lâcher la RDA au profit d'une Allemagne unifiée et neutre. Il souhaite également réintroduire la propriété privée. Ces mesures, qui ne sont pas sans rappeler celle de la Perestroïka dans les années 1980. Cette frénésie réformatrice effraye les autres dirigeants soviétiques et scelle la fin de Beria.

 

A travers ce portrait tout en nuances de Beria, qui s'appuie sur de nombreuses archives notamment géorgiennes, l'auteur offre une nouvelle vision de l'histoire de l'URSS stalinienne. La richesse de la documentation est impressionnante et le lecteur, même le mieux averti, découvre des pans mal connus d'une histoire qu'on croyait bien connaître, des liens de l'émigration menchevique géorgienne avec l'URSS aux faiblesses du renseignement soviétique pendant la guerre.

 

Ce livre est donc une référence incontournable, à lire absolument par tous ceux qui s’intéressent à l'histoire de l'Union soviétique.

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communismeetconflits - dans Union soviétique et Russie Biographie
14 octobre 2014 2 14 /10 /octobre /2014 07:34

Jean Lopez, Opération Bagration. La revanche de Staline (été 1944), Economica, 2014.

Bagration

Jean Lopez est un auteur qu'on ne présente plus. Avec son Opération Bagration il signe son 5e ouvrage sur la guerre germano-soviétique. Comme son titre l'indique, ce livre retrace les différentes phases de la destruction du groupe d'armées Centre de la Wehrmacht à l'été 1944. Seulement deux semaines après le débarquement allié en Normandie, les Soviétiques parviennent à détruire 28 divisions allemandes et progressent de plus de 500 km atteignant Varsovie.

 

L'ambition de l'auteur ne se limite pas à une simple description des différentes phases de cette campagne. Il veut montrer que Bagration est un modèle de l'art opératif à la soviétique, c'est à dire le refus de l'encerclement des troupes ennemies au profit d'opérations en profondeur qui visent à détruire sa cohésion et à rendre ainsi impossible la défense du front.

 

Concernant la genèse de Bagration, l'auteur montre l'opportunisme des Soviétiques qui profitent de la formation du « balcon biélorusse » suite à une avancée en Ukraine pour organiser leur campagne. Il en résulte que Bagration ne fut pas une opération prévue longtemps à l'avance. Pour sa réussite les Soviétiques peuvent compter sur les progrès réalisés dans de nombreux domaines notamment dans l'aviation, les transmissions, la coopération interarme. Jean Lopez prend également soin de montrer l'environnement politique et diplomatique qui entoure Bagration. Cette opération vise en premier lieu à favoriser l'ouverture du second front en Europe, c'est à dire le débarquement en Normandie. Cette coordination entre alliés est une première, le fruit de la conférence de Téhéran où pour la première fois, Staline, Churchill et Roosevelt se rencontrent.

 

Après avoir présenté les forces en présence, l'auteur fait le récit de Bagration qu'il découpe en 4 phases chronologiques. Au final l'opération est un succès complet. Le territoire de l'URSS est définitivement libéré ainsi qu'une partie de la Pologne. L'Armée rouge pénètre en Prusse-Orientale et encercle les forces allemandes stationnées dans les pays baltes. Ce succès est d'ailleurs facilité par le refus d'Hitler d'ordonner une retraite. Il faut l'arrivée du général Model à la tête des troupes allemandes pour organiser une défense en profondeur qui parvient finalement à stopper les Soviétiques.

 

L'auteur insiste sur le fait que pour les Soviétiques le but de Bagration est d'atteindre la Vistule. Mais Jean Lopez avance l'hypothèse que pour y parvenir, Staline ne compte pas sur une percée en profondeur. Dans cette optique, Bagration n'est pas l'opération principale de la campagne soviétique. Elle oblige les Allemands, en pulvérisant le groupe d'armées Centre, à dégarnir le reste de leur front notamment en Ukraine. Car c'est là que doit se produire l'offensive principale, celle que lance Koniev en juillet sur l'axe Lvov-Sandomir. En un mois les Soviétiques parviennent effectivement à atteindre la Vistule qu'ils franchissent pour former une tête de pont. Une seconde offensive, menée par Rokossovski, s'empare de Lublin, où s'installe le gouvernement communiste polonais, puis prend la direction de Varsovie où la résistance polonaise lance l'insurrection.

 

Jean Lopez n'élude pas la question de la non-intervention de l'Armée rouge lors de cette insurrection. Il montre qu'elle répond avant tout à des considérations militaires même si elle favorise la politique de Staline en Pologne. Quand Rokossovski atteint les faubourgs de Varsovie, il a perdu sa 2e armée de chars, ses lignes d'approvisionnement sont trop étirés et surtout ses hommes sont épuisés. Il n'a plus les moyens de continuer son avance tandis que les Allemands se sont renforcés. L'insurrection est donc écrasée par la Wehrmacht.

 

Le livre de Jean Lopez est une synthèse solide sur l'une des plus grandes victoires soviétiques de la Seconde Guerre mondiale. S'appuyant sur de nombreux travaux anglo-saxons, allemands mais également des sources russes, servi par un style fluide et clair et des cartes nombreuses, cet ouvrage, le premier en français sur cette campagne, démontre l’intérêt à découvrir un front de l'Est trop longtemps négligé par l'historiographie francophone.

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9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 07:31

Ramon Rufat, Espions de la République. Mémoires d'un agent secret pendant la guerre d'Espagne, Allia, 1990.

Le service secret de l'armée républicaine espagnole

Voici un livre à la fois original et passionnant. Original puisque l'auteur nous livre une histoire des services de renseignements de l'armée républicaine en Aragon et en Catalogne, un sujet totalement méconnu. Passionnant car l'auteur fut lui-même membre de ces services et parsème donc son récit de ces souvenirs d'espion.

 

Ramon Rufat n'a pas 20 ans quand éclate la guerre civile espagnole. Il rejoint alors le groupe des internationaux de la colonne Durruti en tant que simple soldat. Peu à peu, certains étrangers qui ont une expérience de la guerre mettent en place un service de renseignement et de guérilla à laquelle s'intègre Rufat. Tout se passe dans une incroyable improvisation. Les recrues sont des volontaires qui en dehors de leurs missions continuent à servir comme de simples soldats. Mais peu à peu, un phénomène de spécialisation se fait jour. Les agents suivent des formations dans des écoles spéciales, une différenciation se fait entre espions et guérilleros. Ce processus de militarisation culmine avec la formation en août 1937 du Service d'intelligence spéciale périphérique (SIEP), véritable service de renseignement de l'armée républicaine. Rufat, l'agent R2, décrit avec minutie les succès et échecs du SIEP pour lequel il effectua prés de 50 missions en territoire ennemi d'octobre 1936 à décembre 1938. Il n'oublie pas de traiter du destin de ses agents après la victoire franquiste. Rufat est lui-même arrêté, condamné à mort avant que sa peine ne soit commué. Il passe alors quelques années en prison avant de s'évader en 1944.

 

L'auteur fait également revivre les grands moments de la guerre civile, les événements de mai 1937 à Barcelone, les batailles de Belchite, de Teruel, de l'Ebre, la chute de la Catalogne. Il avance aussi l'idée que la guerre de guérilla a été négligé par les républicains alors qu'elle offrait une arme efficace contre une armée professionnelle et équipée par l'Allemagne et l'Italie. Cette erreur ne fut pas seulement militaire puisqu'en privilégiant la formation d'une armée traditionnelle les dirigeants républicains ont sacrifié l'esprit révolutionnaire qui animait les combattants.

 

Le livre de Rufat est à la fois un livre d'histoire et d'aventure passionnant. Le lecteur sera étonné par l'humilité de l'auteur qui refuse de raconter ses exploits à la première personne et ne tombe jamais dans la caricature. Le ton est toujours juste et neutre. Surtout voici un ouvrage qui éclaire de façon vivante une des facettes mal connues du conflit civil espagnol.

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communismeetconflits - dans Guerre d'Espagne Espionnage
7 octobre 2014 2 07 /10 /octobre /2014 07:52

Robert Littell, Philby. Portrait de l'espion en jeune homme, Éditions Baker Street, 2011, (édition de poche dans la collection Point-policier, 2012).

Jeunesse d'un espion

Robert Littell est un des maîtres contemporains du roman d'espionnage avec un style qui mêle toujours réalité et fiction. A ce titre, la figure mythique de Kim Philby ne pouvait le laisser indifférent. Avec ce roman il en trace un portrait avec la volonté de comprendre les mécanismes qui poussent le jeune anglais à trahir sa patrie et sa classe sociale. Il ne s'agit donc pas ici d'une biographie mais d'une tentative d'expliquer les raisons du comportement et des succès de Philby. En effet, comment un jeune idéaliste, marié à une communiste autrichienne a-t'il pu infiltrer si facilement les services secrets britanniques et n’être démasqué qu'au bout de 30 ans ?

 

De la Vienne en révolte de 1934 à Londres sous les bombes allemandes, en passant par l'Espagne franquiste ou Moscou à l'époque des purges, Littell trace l'histoire de Philby par le biais de récits à la troisième personne de ceux qui l'ont croisé. Ses amis, ses maîtresses, ses collègues du MI6, ses agents traitants et contacts soviétiques livrent ainsi des portraits différents de Philby, un individu complexe qui entretient autour de lui une certaine ambiguïté. Ici donc pas de rebondissement ou de coups d'éclat même si l'auteur avance à la fin du livre une hypothèse séduisante mais hasardeuse, en l'état des connaissances, sur le parcours de Philby.

 

Mais à travers la personne de Philby, Littell dresse le portrait d'une époque, les années 1930, une période où l'engagement et la violence déterminent des destinées, conduisent au sacrifice de soi ou à la trahison des siens au nom d'idéaux. Philby choisit son camp et ne l'abandonnera plus jusqu'à sa mort en 1988.

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communismeetconflits - dans Espionnage Fiction
2 octobre 2014 4 02 /10 /octobre /2014 07:51

Alexandre Courban, “L'Humanité” de Jean Jaurès à Marcel Cachin, 1904-1939, éditions de l'Atelier, 2014.

L'Huma de 1904 à 1939

Alexandre Courban livre avec cet ouvrage, une version remaniée et allégée de sa thèse, la première histoire du journal l'Humanité. Curieusement, alors que ce quotidien a joué un role considérable dans l'histoire du mouvement socialiste puis communiste en France, aucun historien ne s'était penché avant lui, de manière scientifique, sur son histoire.

 

Le fil rouge qui court tout au long de l'ouvrage est celui des relations difficiles entre un organe de presse et un parti politique, chacun étant animé par des logiques souvent différentes voire opposées. Mais le journal et le parti socialiste, puis le PCF, ont besoin l'un de l'autre. Quand Jaurès lance l'Humanité en 1904, il souhaite se doter d'une tribune pour diffuser ses idées mais également faire du journal un lien entre les différentes composantes du mouvement ouvrier. Avec la naissance de la SFIO en 1905, la question des rapports entre le parti et le journal se pose rapidement. Les difficultés financières du l'Humanité offrent l'occasion à la SFIO d'asseoir son autorité sur un journal qui en 1914 tire à 100 000 exemplaires. Mais c'est l'assassinat de Jaurès qui fait définitivement de l'Humanité l'organe de la SFIO.

 

L'auteur retrace ensuite la vie du journal durant la Grande Guerre, entre la mobilisation des employés et jounaliste et la mise en place de la censure. L'Humanité devient également un enjeu dans le conflit de plus en plus vif entre les majoritaires de guerre favorables à l'Union sacrée et les minoritaires qui veulent une issue pacifiste au conflit. La victoire des minoritaires à la fin 1918 a une conséquence direct sur le journal puisque son directeur, Pierre Renaudel, est remplacé par Marcel Cachin.

 

La naissance du PCF à la fin de 1920, qui s'assure rapidement le controle de l'Humanité modifie les rapport entre le journal et le parti. Selon la doctrine bolchevique, c'est dorénavant la direction du PC qui prend toute les décisions concernant le journal, du recrutement des journalistes aux moyens de diffusions. Mais les relations sont en réalité plus complexes que cela puisque si le journal doit refléter le point de vue du PCF, il cherche aussi à attirer un lectorat qui dépasse la seule mouvance militante. Vaillant-Couturier, rédacteur en chef de 1926 à 1929 puis de 1935 à sa mort en 1937 réussit ce périlleux exercice en faisant de l'Humanité un journal d'information grand public qui atteint en 1936 son apogée. Les années qui précédent la guerre sont plus difficiles pour le journal dont les ventes baissent avant d'etre interdit par le gouvernement Daladier en septembre 1939.

 

En faisant revivre l'histoire de l'Humanité, Alexandre Courban met également en lumière des formes originales de militantisme qui s'incarnent dans les Correspondants ouvriers ou bien les Comités de défense de l'Humanité. Il donne des pistes qui permettent d'appréhender le lectorat du journal mais aussi l'image que le quotidien se fait de ses lecteurs.

 

Voici un livre essentiel pour mieux connaitre le mouvement socialiste et communiste du premier 20e siècle. Souhaitons qu'il inaugure de nouveaux travaux sur la presse militante et surtout qu'il soit complété par un ouvrage retraçant l'histoire de l'Huma après 1939.

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communismeetconflits - dans Communisme français

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  • : Communisme, violence, conflits
  • : Blog destiné à publier des articles et travaux historiques concernant les relations entre communisme et violence au XX°siècle. Ce blog est ouvert à ceux qui voudront publier articles, notes, annonces de publications, de colloques ou autres concernant ce champs d'étude historique.
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Publications de David FRANCOIS

GuideICSerge Wolikow, Alexandre Courban, David François, Christian Oppetit, Guide des archives de l'Internationale communiste, 1919-1943, Archives nationales-MSH Dijon, Paris-Dijon, 2009. 

9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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