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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 07:06

Charles Heimberg, Stéfanie Prezioso, Marianne Enckell (sld.), Mourir en manifestant. Répressions en démocratie, Éditions d'en bas, 2008.

Quand le sang coule à Genève.

Ce livre est la publication des différentes contributions d'un colloque international qui s'est tenu à Genève en 2007 à l'occasion du 75e anniversaire de la fusillade du 9 novembre 1932. Cette date n'évoque pas grand chose pour le commun des mortels en dehors de la Suisse. D'ailleurs, la Confédération helvétique n'a-t-elle pas pas l'image d'un pays calme et profondément pacifique tant sur le plan intérieur qu'extérieur. Pourtant ce 9 novembre 1932, l'armée suisse n'a pas hésité à tirer sur une manifestation ouvrière non armée causant la mort de 13 personnes. C'est l'histoire et la mémoire de cet événement qui a marqué la conscience helvétique qui se trouve au cœur de cet ouvrage.

 

Les événements du 9 novembre sont bien connus dans leurs grandes lignes. Alors que la Suisse est touchée par la grande dépression des années 1930, le Parti socialiste genevois, dirigé par Léon Nicolle, accroît son influence et tend à se radicaliser. En réaction se développe une organisation fascisante, l'Union nationale qui décide d'organiser un procès public du dirigeant socialiste à l'occasion d'un meeting. Pour les socialistes il ne s'agit rien de moins qu'une provocation et ils décident en réaction d'organiser une manifestation de protestation. Cette manifestation est interdite par les autorités qui font alors appel à l'armée pour assurer l'ordre et éviter que le meeting de l'Union nationale ne soit empêché par les manifestants. Mais dans la soirée l'armée tire sur la foule.

 

Dès le lendemain les autorités dénoncent une tentative d'insurrection organisée par Léon Nicolle d'autant que l'enquête menée par l'armée, si elle n'arrive pas à établir qui a donné l'ordre de tirer, affirme que les soldats n'ont fait que se défendre. Prends ainsi naissance un mensonge d'État qui va permettre d'inculper et de juger Léon Nicolle en 1933.

 

Les contributions concernant ce drame mettent en avant la peur grandissante de la bourgeoisie et des milieux dirigeants face au développement du mouvement ouvrier considéré comme intrinsèquement bolchevik. Cette peur du rouge, assimilé aux bandits et aux étrangers, plonge ses racines au 19e siècle et se trouve lors de la répression des grèves générales de 1918 et 1919. Au début des années 1930, la figure du socialiste Léon Nicolle devient la cible de toutes les attaques des adversaires du communisme et du socialisme pour qui il est l'organisateur d'une vaste conspiration visant à bolcheviser la Suisse. Il devient l'homme à abattre et il semble que la classe dirigeante genevoise, sachant que Nicolle faisait alors l'objet de fortes critiques de la part de la direction du Parti socialiste suisse, a cherché délibérément à le faire tomber en refusant d'interdire le meeting de l'Union nationale et en faisant appel à l'armée. La manœuvre fut un échec puisqu'en 1933, Nicolle est élu au Conseil d'État.

 

Il faut également noter la présence dans ce livre de contribution sur le maintien de l'ordre dans la République espagnole de 1931 à 1936, sur la fin de la démocratie en Autriche entre 1927 et 1934, sur le phénomène des agents provocateurs au sein des groupes gauchistes dans les années 1960 et 1970 ainsi que sur la répression des manifestations en Italie et en France depuis 1945.

 

Mourir en manifestant est un livre indispensable et de haute tenue pour mieux comprendre un événement majeur de l'histoire sociale et politique suisse mais plus largement pour saisir et réfléchir aux les liens complexes qui existent entre le droit de manifester consubstantielle à tout système démocratique et les nécessités du maintien de l'ordre. Une problématique qui reste toujours d'actualité, notamment en temps de crise.

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communismeetconflits - dans Suisse Violence urbaine Répression
13 mars 2014 4 13 /03 /mars /2014 07:03

Korine Amacher, La Russie 1598-191. Révoltes et mouvements révolutionnaires, Infolio éditions, 2011.

Trois siècles d'histoire de la Russie révolutionnaire.

Voici un petit livre que tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la Révolution russe devraient lire. Paru chez un petit éditeur suisse mais écrit par une spécialiste de l'histoire de la Russie à l'Université de Genève, il est passé, à notre avis, injustement inaperçu.

 

L'auteur retrace, dans un style clair et précis, l'histoire des mouvements de contestations de l'ordre tsariste depuis la mort d'Ivan le Terrible en 1598 jusqu'à la révolution de 1917. Korine Amacher prévient d'emblée que cette histoire, largement étudiée mais aussi manipulée au temps de l'URSS, ne converge pas inéluctablement sur la prise du pouvoir par les bolcheviks comme a voulu le montrer tout à la fois l'historiographie soviétique mais aussi occidentale. De ce coté du rideau de fer en effet certains historiens ont présenté les révolutionnaires russes comme les principaux responsables des malheurs qui allaient s'abattre à partir de 1917 sur la Russie, Netchaev annonçant Lénine en quelque sorte. Korine Amacher se tient donc loin de ces reconstructions historiques qui servent avant tout des desseins politiques pour livrer une synthèse objective où défile trois siècles d'histoire de la révolte en Russie.

 

La première grande révolte qui secoue le pouvoir russe est celle du cosaque Stenka Razine en 1670 avant que celle de Pougatchev en 1773 n'ébranle le trône de la Grande Catherine. Il s'agit lors de ces grandes révoltes populaires, non pas de renverser l'ordre social, mais plutôt de réaction de défense face à la présence de plus en plus forte d'un État en formation qui rogne peu à peu les traditions et les libertés des populations, notamment cosaques. Ces révoltes sont donc essentiellement conservatrices et s'inscrivent dans une tendance européenne puisque ce phénomène touche au 17e siècle de nombreuses provinces françaises, dont la Bretagne avec la révolte des Bonnets rouges. C'est d'ailleurs un des mérites de ce livre de replacer le mouvement révolutionnaire russe dans un cadre plus large et de l'inscrire pleinement dans l'histoire de l'Europe.

 

L'auteur raconte l'histoire et analyse les différentes formes que prend le mouvement révolutionnaire en Russie des décembristes en 1825 aux partis sociaux-démocrates et socialiste-révolutionnaires du début du 20e siècle. C'est une histoire riche et foisonnante qui est décrite avec les débats entre occidentalistes et slavophiles, les grandes figures de l'intelligentsia: Belinski, Bakounine, Herzen, Tchernichevsky, Lavrov, Tkatchev. La naissance et le développement des grands courants de pensée contestataires russes sont décrits avec précision que ce soit le nihilisme, le populisme, le libéralisme, l'anarchisme, le marxisme. L'histoire des organisations n'est pas oublié que ce soit Terre et liberté, la Volonté du peuple, les partis bolcheviks, mencheviks ou SR ainsi que celle des modalités de l'action révolutionnaire, la propagande, la marche vers le peuple ou bien le terrorisme qui est l'objet de nombreuses pages.

 

C'est un panorama foisonnant que nous livre Korine Amacher d'un mouvement qui ne regroupe pas seulement des intellectuels, dont les courants ne prônent pas tous la violence, ni une rupture radicale et immédiate avec la société de leur temps. En somme rien n'était écrit d'avance, ni la révolution d'octobre, ni les monstruosités du socialisme réel. Mais l'auteur ne manque pas de rappeler non plus que l'absence de dialogue entre le pouvoir et la société, l'absence d'un espace légal où l'opposition aurait pu s'exprimer ne laissait guère d'espoir de changer les choses par des réformes, ouvrant le chemin à une épreuve de force qui ne pouvait finalement être que violente.

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communismeetconflits - dans Union soviétique et Russie
10 mars 2014 1 10 /03 /mars /2014 08:00

Ferdinand Ossendowski, Bêtes, Hommes et Dieux. A travers la Mongolie interdite, 1920-1921, Phebus, 2011 (1ere édition 1924).

Aventures en Mongolie au temps de la guerre civile

Voici un livre inclassable et curieux. Nous l'avons lu dans une édition d'une collection de livres de poche où il côtoie des titres sur les grands thèmes de l'ésotérisme, de l'Atlantide aux géants de l’île de Pâques en passant par les Templiers et les Rose-Croix. Ce n'est pas que nous cherchions à nous évader des livres d'Histoire qui sont notre pain quotidien mais plutôt à retrouver le plaisir que nous avons eu il y a quelques décennies à nous plonger dans Corto Maltése en Sibérie. Et ce livre a répondu à notre attente.

 

L'auteur, Ferdinand Ossendowski, y raconte le périple qu'il a affronté en fuyant par l'est la guerre civile russe pour se retrouver en Mongolie où il fut rattrapé malgré tout par la lutte acharnée que se livraient Blancs et Rouges. Ossendowski, né en Pologne russe, ingénieur, se trouve à Omsk au moment de la révolution d'octobre. Il rejoint les troupes blanches de l'amiral Koltchak mais après la victoire de l'Armée rouge il est obligé de fuir. C'est cette fuite que raconte son livre.

 

L'auteur cherche à rejoindre les Indes britanniques en passant par la Mongolie et le Tibet. Mais il doit finalement renoncer et retourne en Mongolie dans l'espoir de rejoindre la cote Pacifique. Son chemin est parsemé d'aventure, entre combats contre les rouges, les bandits tibétains ou les Chinois. Il fait la connaissance de personnages plus surprenants les uns que les autres, chercheurs d'or, agents bolcheviks, princes mongols, chamans et moines bouddhistes. Il rencontre le Bogdo-Khan, le dieu vivant qui règne alors sur la Mongolie et le célèbre général Ungern von Sternberg dont il fait un portrait à mille lieues de celui du baron sanglant.

 

Le lecteur peut douter de la véracité des faits exposés, sourire devant les considérations de l'auteur sur l'existence d'un Roi du Monde vivant dans un royaume souterrain. Ossendowski donne, néanmoins un aperçu vivant d'un pays, la Mongolie, à un tournant de son histoire. Théâtre de la guerre civile entre Blancs et Rouges, rejetant la tutelle chinoise, le pays, où les habitants semblent encore vivre comme à l'époque de Gengis Khan, cherche sa voie, ballotté par les grands courants de l'Histoire. L'extrême confusion et la violence qui président à ces bouleversements sont restituées avec force dans ce livre.

 

Mélangeant aventure, voyage, mystères et grande Histoire, le livre d'Ossendowski est un récit palpitant qui nous a redonné envie de replonger dans les aventures du célèbre héros de Hugo Pratt.

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communismeetconflits - dans Guerre civile russe.
6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 07:58

Richard Pipes, L'affaire Degaev, De Fallois, 2012.

Plongée au cœur du terrorisme populiste russe.

Richard Pipes, éminent spécialiste américain de l'histoire de la Russie, fait ici le récit d'un épisode peu connu de l'histoire du mouvement révolutionnaire russe, à travers le destin d'un homme qui fut d'abord un terroriste, puis avait trahi ses camarades avant de refaire sa vie, sous un nouveau nom, aux États-Unis en tant que respectable professeur d'université dans le Dakota du Sud.

 

A parti des années 1860, sous le règne du tsar Alexandre II, le terrorisme jouit de la sympathie de larges fractions de la société russe, y compris dans l'armée. Dostoïevski lui-même, qui dans son roman Les Possédés, dénonce la folie des révolutionnaires, avoue qu'il ne dénoncera jamais un terroriste. Serguei Degaev est issu d'une famille de la bourgeoisie qui partage cette sympathie pour l'action des terroristes de l'organisation de la Volonté du Peuple créé en 1880.

 

A 20 ans il adhère à ce groupe qui prépare alors fébrilement le meurtre du tsar. Plein d'ardeur il crée des cercles de révolutionnaires et espère par son activisme devenir membre de la direction de la Volonté du peuple. Mais Degaev n'a pas la trempe d'un martyr révolutionnaire, il a peur du sang et devient un militant de second rang pour qui la direction de l'organisation reste fermée. S'il se sent frustré et insulté par ce refus, il continue néanmoins sont action au sein de la Volonté du peuple. L'attentat réussi contre Alexandre II en mars 1881 provoque une large rafle policière dans les rangs révolutionnaires. Degaev est arrêté puis relâché. En 1882, la Volonté du peuple l'envoie à Odessa pour monter une imprimerie clandestine. Mais repéré par la police à la suite d'imprudences qu'il impute à Vera Figner, Degaev est arrêté en décembre.

 

C'est en prison qu'il fait la connaissance de Gueorgui Soudeïkin, le meilleur policier tsariste, un maître dans le retournement et l'infiltration des révolutionnaires. Degaev accepte de travailler pour la police, livrant des listes de noms et d'adresse. Une fausse évasion permet à Degaev de reprendre contact avec la Volonté du peuple. Cela permet surtout à la police de surveiller et d'arrêter les révolutionnaires dont Vera Figner. L'organisation est rapidement exsangue. Bientôt, Degaev est soupçonné par ses camarades d'être un indicateur. Il avoue et accepte pour se racheter de tuer Soudeïkin. Le maitre policier est tué en décembre 1883. Traqué par la police, abandonné par les révolutionnaires qui ne lui pardonne pas sa trahison, Degaev erre en Europe puis en Amérique du Nord où il s'installe finalement.

 

Jusqu'à la fin de sa vie, cet homme, qui est devenu professeur d'université respecté par ses collègues et apprécié par ses élèves vivra dans la crainte d'une possible vengeance de ses anciens amis révolutionnaires.

 

Pipes, fait revivre d'une manière claire et vivante la lutte souterraine que se livrèrent la police tsariste et les terroristes révolutionnaires, une lutte impitoyable où se devinent déjà les méthodes et les tragédies des combats clandestins du siècle suivant.

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communismeetconflits - dans Union soviétique et Russie Terrorisme
3 mars 2014 1 03 /03 /mars /2014 07:05

Harold Walter Nelson, Leon Trotsky and the Art of Insurrection 1905-1917, Frank Cass, 1988.

Trotsky, théoricien et praticien de l'insurrection

Voici un petit livre qui présente la pensée du créateur de l'Armée rouge sur un domaine que Lénine estimait faire partie intégrante de l'art militaire, l'insurrection. S'appuyant sur les œuvres complètes de Trotsky, l'auteur, un militaire américain, analyse la contribution de Trotsky aux débats qui agitent après 1905 le monde des révolutionnaires russes sur le meilleur moyen de vaincre l'armée du tsar mais également ses écrits sur les guerres balkaniques et la Première Guerre mondiale et enfin sur son rôle dans la prise du pouvoir par les bolcheviks en 1917.

 

Lors des débats sur les moyens de renverser l'armée tsariste, Lénine et les bolcheviks pensent qu'il est possible de le faire par le biais d'une insurrection armée ce qui explique qu'ils justifient à ce moment-là les actes de terrorisme individuels. Dans ce débat, Trotsky estime quant à lui que le meilleur moyen de vaincre l'armée est de la subvertir de l'intérieur afin de la désagréger au moment propice.

 

Au moment des guerres balkaniques de 1912-1913, Trotsky perçoit que c'est l'ensemble de la société qui désormais participe à la guerre et donc que la distinction entre militaires et civils s'efface progressivement. Il tire une autre leçon de ces guerres: l'idée que si la guerre de partisans peut être efficace dans le cadre d'une guerre de libération nationale elle ne l'est pas dans celui d'une révolution prolétarienne. Il se montre également un stratège accompli quand il explique ce qu'aurait dû faire l'armée bulgare pour l'emporter et s'emparer de Constantinople lors de la seconde guerre balkanique en 1913.

 

La dernière partie du livre raconte et analyse le rôle de Trotsky dans la révolution russe. C'est un bon résumé d'une histoire désormais bien connu et que Trotsky expose lui-même en détail dans son Histoire de la révolution russe.

 

Au final voici un livre clair et bien écrit qui donne des pistes pour comprendre le génie militaire d'un révolutionnaire qui après avoir permis la prise du pouvoir par les bolcheviks, créa une armée et réussit à battre l'ensemble de ses adversaires dans une guerre civile qui dura prés de trois ans.

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27 février 2014 4 27 /02 /février /2014 07:04

Roger Faligot, La rose et l'edelweiss. Ces ados qui combattaient le nazisme, 1933-1945, La Découverte, 2009.

Les ados dans la Résistance

Le livre de Roger Faligot a le mérite de montrer le rôle joué par les adolescents dans la résistance au nazisme. Les adolescents sont devenus depuis quelques années une catégorie historique à part entière mais jamais aucune étude ne s'était, à notre connaissance, attaché à son histoire durant la Seconde Guerre mondiale.

 

Plus largement l'auteur s'attache aussi à montrer la volonté d'embrigadement des régimes fascistes et de contrôle de la culture jeune. Le lecteur apprend ainsi avec stupeur que Hitler adorait le dessin animé de Walt Disney Blanche-Neige et les sept nains dans lequel l'héroïne incarne la beauté aryenne tandis que la sorcière représente le judaïsme. C'est aussi pour Mussolini que Disney, proche alors du parti nazi américain, réalise Pinocchio qui montre que les enfants rebelles à l'autorité ne s'attirent que des ennuis tandis que Pinocchio ne devient un vrai petit garçon que lorsqu'il a compris qu'il doit se soumettre à l'autorité paternelle. Faligot rappelle également les compromissions d'Hergé dans la Belgique occupée.

 

Mais l'essentiel du propos de l'auteur est de faire découvrir cette résistance de la jeunesse à l'oppression, une résistance bien plus précoce que celle des adultes et largement occultées. Il suffit pour s'en convaincre de lire les chapitres sur la manifestation du 11 novembre 1940 à Paris ou celui sur la Main noire, cette organisation alsacienne, qui fait sauter en mai 1941 la voiture du Gauleiter de Strasbourg. L'auteur évoque de nombreux adolescents qui en France se lancent dans la Résistance, que ce soit Jacques Lusseyran et les Volontaires de la liberté à Paris, Anne Corre en Bretagne, les jeunes communistes qui sont les premiers, à l'initiative de Fabien, à se lancer dans la lutte armée ou ceux de la MOI dont Tomas Elek qui se retrouve en 1944 sur la tristement célèbre Affiche rouge. Cette jeunesse se retrouve ensuite dans les maquis ou au sein des FFL.

 

Roger Faligot ne s'arrête pas à l'hexagone et fait découvrir les multiples formes de la résistance adolescente dans l'Europe. En premier lieu en Allemagne où se retrouvent les Pirates de l'Edelweiss qui mènent des actions de propagande mais aussi de lutte armée de concert avec des communistes et des déserteurs de la Wehrmacht. Il y a également à Munich le groupe de la Rose blanche de Hans et Sophie Scholl. Il montre également l'importance des adolescents dans la résistance au Danemark, en Italie dans le mouvement des partisans et lors de l'insurrection de Naples, en Pologne aussi bien lors du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943 que de la ville tout entière en 1944, dans l'Union soviétique occupée mais aussi dans les camps des concentration. L'auteur montre également les débuts du développement d'une culture propre à la jeunesse autour du swing qui fédère les adolescents contre l'oppression et qui par certain coté préfigure ce qui se passera dans les années 1960.

 

Le récit de ce tour d'Europe de la Résistance est dense et palpitant, entrecoupé de magnifiques portraits individuels ou de groupes. Un ouvrage de vulgarisation, certes, mais combien réussi et qui, par sa rigueur et son sérieux, démontre que l'écriture de l'Histoire n'a pas besoin d'être cantonné au monde universitaire pour faire œuvre utile, juste et novatrice.

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communismeetconflits - dans Résistance
24 février 2014 1 24 /02 /février /2014 07:57

Les maréchaux soviétiques parlent, présentation par Laurent Henninger, Tempus, 2013.

"Coup de com" soviétique

Voici un livre dont l'histoire est singulière, un « curieux ouvrage » comme dit Laurent Henninger qui le préface pour à la fois le présenter mais aussi mettre en garde le lecteur. Pourtant le sujet de cet opus n'a rien d'original puisqu'il ne s'agit rien de moins que de la présentation de 17 des maréchaux soviétiques. L'auteur aurait, au cours de sa carrière au sein de l'Armée rouge, rencontré chacun d'entre eux et nous livre les souvenirs qu'il en garde dessinant le portrait d'hommes simples, loin de l'image hautaine et guindée qui s'attache d'ordinaire aux officiers supérieurs. Pas de révélations fracassantes ici sinon que l'auteur, Cyrille Kalinov, n'a jamais existé.

 

Pour Laurent Henninger, le véritable auteur de ce livre paru en 1950 est le transfuge Grigori Besedovski. Ce dernier, diplomate en poste à Paris a fait défection en 1929. Pour gagner sa vie il a commencé à utiliser ses connaissances sur l'URSS pour écrire des livres. Puis il s'est mis au service des Soviétiques pour écrire des faux à destination du public occidental dont il connaît bien les attentes.

 

Pour Laurent Henninger, le livre sur les maréchaux constitue une de ces opérations de communication destinée à donner de l'URSS l'image d'un pays ordinaire et de ses chefs militaires celles d'hommes sympathiques, compétents et proches des simples soldats. Le livre doit surtout permettre de contrebalancer les effets du développement d'une littérature anticommuniste en Occident en cette période de Guerre froide. Il faut casser l'image de l'hydre rouge portée à incandescence par la propagande nazie et reprise mezza voce par les Américains avec l'aide d'anciens officiers de la Wehrmacht. Pour cela l'auteur n'hésite pas à travestir la réalité. Dans son texte, Staline apparaît comme un personnage lointain et débonnaire qui s'implique peu dans les décisions militaires. Le rôle de Vorochilov, un proche de Staline et membre du Bureau politique, est largement embellie s'agissant de son rôle dans la défense de Léningrad.

 

Au final que retenir de ce texte apocryphe qui ressemble à une compilation d'anecdotes. Peu de choses sur la carrière des maréchaux présentés ou sur l'histoire militaire soviétique. Mais prenons le pour ce qu'il est: un livre plaisant et agréable, qui se lit bien. Une première tentative pour sortir la guerre germano-soviétique du double carcan de l'histoire officielle soviétique compassée et des récits anticommunistes sur les hordes de l'armée rouge déferlant sur l'Europe. Une tentative donc pour briser le german bias qui commençait à se développer et dont l'historiographie se sort à grand peine depuis l'effondrement de l'URSS.  

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communismeetconflits - dans Union soviétique et Russie
20 février 2014 4 20 /02 /février /2014 07:37

L'Affiche rouge film français de Frank Cassenti, 1976.

Quand le cinéma brouille la mémoire

Voici un film qui s'inscrit bien dans son époque les années 1970. Après la mort du général De Gaulle et avec le début de l'érosion de l'influence du PCF, la mémoire de l'Occupation se libère du carcan imposé par les gaullistes et les communistes après 1945. La traduction des travaux de Robert Paxton, le succès du film Lacombe Lucien, le documentaire le Chagrin et la pitié ou l'adaptation télévisée du livre de Jean Dutourd « Au bon beurre » font découvrir une France attentiste, pétainiste, collabos. L'image d'une France majoritairement résistance s'effondre. Mais cette remise en cause s'étend également à la Résistance communiste dont les dirigeants ont fixé les grands traits, minimisant notamment le rôle joué par les militants étrangers. C'est à cette injustice que s'attaque Franck Cassenti en voulant raconter l'histoire du groupe Manouchian rendu célèbre grace à l'affiche rouge.

 

Mais disons-le, le film rate largement son objectif. Pour essayer de montrer que passé et présent sont liés il cherche à raconter l'histoire du groupe de Manouchian à travers les répétitions d'une pièce de théâtre dont le sujet est justement les résistants de l'Affiche rouge. Mais très vite le spectateur se perd entre les époques et ne sait plus si les personnages qu'il suit sont des comédiens ou bien des résistants. D'autant qu'il y a de nombreuses digressions sur la difficulté du métier de comédien, notamment sur la capacité à incarner des personnages tandis que les réflexions sur l'engagement résistant sont presque inexistantes.

 

Si le spectateur n'apprend rien sur l'histoire du groupe Manouchian, il ne peut que sourire devant les simplifications idéologiques du réalisateur qui présentent les nazis et les collaborateurs comme des personnages de foires grotesques ou des bouffons ridicules. D'un point de vue historique il n'y a donc rien à retenir dans ce film concernant l'histoire de la Résistance. Le spectateur nostalgique d'un certain cinéma intello engagé trouvera néanmoins dans ce film le parfum d'une époque, bien lointaine, où dominaient les cols pelle à tartes et les imprimés marrons et oranges.

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communismeetconflits - dans Résistance
17 février 2014 1 17 /02 /février /2014 07:08

Jean-François Fayet, Karl Radek (1885–1939), Biographie politique, Peter Lang, 2004.

Entre Allemagne, Pologne et Russie : biographie d'un internationaliste

Karl Radek est une figure majeure et largement méconnue de l'histoire du communisme international. Il incarne pourtant la figure type du révolutionnaire professionnel par ses dons de polyglottes, son parcours qui lui permet de se mouvoir avec aisance au sein des mouvements révolutionnaires polonais, russes et allemands puis ses fonctions au sein de l'appareil soviétique et de l'Internationale communiste.

 

C'est de ce personnage hors-norme et en s'appuyant sur les archives de Moscou que l'historien suisse Jean-François Fayet tire une biographie qui est une somme incontournable sur l'histoire du communisme. Karl Radek naît en 1885 dans une famille juive libérale de la classe moyenne en Galicie alors province de l'Empire austro-hongrois. Lors de ses études universitaires à Cracovie il adhère au parti social-démocrate du royaume de Pologne et de Lihuanie (SDKPiL) conduit par Rosa Luxemburg. Puis Radek s'installe en Allemagne et milite au SPD où il se fait remarquer pour ses talents de journaliste et ses travaux sur l'impérialisme.

 

A la suite du déclenchement de la Première Guerre mondiale, Radek se réfugie en Suisse et rejoint les bolcheviks. Il participe alors au mouvement de Zimmerwald et devient un propagandiste bolchevik. En 1917 il participe au fameux épisode du train plombé qui conduit Lénine à rejoindre Petrograd en passant par le territoire du Reich. L'auteur fait une mise au point claire sur les rumeurs qui entoure cet épisode controversé de la vie de Lénine.

 

Après la Révolution d'Octobre, Radek retourne en Allemagne comme envoyé de Lénine. A Berlin il noue des relations avec les dirigeants allemands afin de promouvoir une alliance entre l'Allemagne vaincue de 1918 et la Russie soviétique tout en participant à la création du Parti communiste allemand (KPD). Sur ce dernier point il joue un rôle essentiel dans les premières années du Komintern et du KPD s'opposant vigoureusement à Paul Levi le dirigeant de ce parti.

 

En 1923, alors que l'Allemagne est submergée par la crise économique et que la France occupe le bassin minier de la Ruhr, il propose au KPD de se rapprocher de l'extrême-droite. Cette ligne est condamnée mais Radek reste néanmoins en Allemagne comme représentant soviétique lors de la tentative de soulèvement communiste du mois d'octobre 1923.

 

Radek est rendu responsable de la défaite du KPD et se voit confier en 1924 la direction de l'Université Sun Yat Sen à Moscou. Dans la lutte qui oppose rapidement la troïka constituée de Zinoviev, Kamenev et Staline et Trotsky, il prend le partie de ce dernier et devient un des dirigeants de l'opposition. Les trotskystes battus par Staline, Radek profite en 1929 du tournant à gauche opéré par Staline pour faire sa soumission.

 

Radek se fait désormais le chantre de Staline dont il devient un conseiller en politique étrangère à partir de 1933. A partir de 1934, Radek sait que, dans l'atmosphère de purges qui se développe, il est en sursis. En août 1936 lors du premier procès de Moscou contre Zinoviev et Kamenev il soutient l'accusation. Malgré cette preuve de soumission à Staline il est arrêté un mois plus tard pour devenir l'une des vedettes du second procès de Moscou en janvier 1937. Là encore, Radek collabore avec l'accusation, dénonçant, selon un script établi à l'avance, la droite boukharinienne ou les chefs de l'Armée rouge. Cette collaboration lui permet d'éviter l'exécution. Il est envoyé au Goulag où il est assassiné par des codétenus de droit commun en 1938.

 

Le livre de Jean-François Fayet est une lecture indispensable pour comprendre les destinées de cet internationalisme révolutionnaire dont le creuset fut la Révolution russe. Un internationalisme qui disparut dans les caves des prisons de Staline ou au Goulag et dont Radek fut une figure emblématique.

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13 février 2014 4 13 /02 /février /2014 07:49

1911, Révolution film chinois de Jackie Chan et Zhang Li, 2012.

1911, entre caricature et propagande

Les films sur la Révolution ou la guerre civile chinoise sont des denrées assez rares sur les écrans occidentaux pour ne pas avoir envie de jeter un coup d’œil sur une superproduction sortie pour le centième anniversaire de la révolution de 1911. C'est en effet en octobre 1911 que des militaires se mutinent à Wuhan donnant le signal de la révolution de Xinhai qui entraîne la chute de la dynastie mandchoue et de la Chine impériale millénaire au profit de la République.

 

Mais quelle déception ! Une histoire brouillonne qui rend incompréhensible le déroulement des événements. Sans parler de l'addition de personnages, dûment présenter à l'écran par leur nom et fonction, mais qui ne font que passer, compliquant la tache du spectateur le plus attentif à essayer de suivre l’enchaînement des faits retracé. Les scènes se succèdent de manière brouillonne sans liens entre elles. D'ailleurs la présence de nombreux écrans explicatifs apparaît comme une bouée de secours indispensable pour ne pas être totalement perdu.

 

Celui qui pourrait croire que la présence de la star Jackie Chan dans ce film permettrait de lui donner un peu de tonus se trompe. Les scènes de bataille sont plutôt rares tandis que se multiplient les discussions politiques et stratégiques sans intérêt. D'ailleurs le personnage qu'incarne Jackie Chan, Huang Xin, un combattant qui se retrouve rapidement commandant de l'armée révolutionnaire et vit la révolution de l'intérieur est vite éclipsée par celui de Sun Yat-Sen qui passe pourtant le plus clair de son temps à l'étranger.

 

D'ailleurs les principaux personnages apparaissent comme des caricatures sans aucun relief à l'image d'un Sun Yat-Sen qui n'a aucune aspérité et incarne le bien. Au contraire l'impératrice douairière est une coquette hystérique tandis que le maréchal Yuan Shikai est un gros militaire qui ne cherche qu'à s'enrichir.

 

Les réalisateurs ont voulu donner une approche générale et didactique de la Révolution mais sans lui donner aucune émotion. Voici un bon film de propagande où les méchants n'ont rien pour eux tandis que les gentils sont des héros qui se sacrifient pour l'indépendance de la Chine. Comme toujours la connaissance historique est la grande perdante de ce genre de réalisation qui néglige de mettre en perspective les faits, de montrer la face sombre de la révolution ainsi que ses échecs.

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communismeetconflits - dans Communisme chinois

Présentation

  • : Communisme, violence, conflits
  • : Blog destiné à publier des articles et travaux historiques concernant les relations entre communisme et violence au XX°siècle. Ce blog est ouvert à ceux qui voudront publier articles, notes, annonces de publications, de colloques ou autres concernant ce champs d'étude historique.
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L'autre coté de la colline

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Rigueur historienne et clarté du propos. A ne pas manquer !

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Publications de David FRANCOIS

GuideICSerge Wolikow, Alexandre Courban, David François, Christian Oppetit, Guide des archives de l'Internationale communiste, 1919-1943, Archives nationales-MSH Dijon, Paris-Dijon, 2009. 

9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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