Jean Monneret, Histoire cachée du Parti communiste algérien. De l’Étoile nord-africaine à la bataille d’Alger, Via Romana, 2016
Pour de nombreux historiens, les positions prises par les communistes français face à la guerre d’Algérie marquent une rupture entre le PCF et une partie de la gauche qui lui était jusque-là favorable. Les ambiguïtés communistes face à la question nationale algérienne ne datent pas de 1954 mais s’inscrivent dans une histoire plus longue, une histoire qui est au cœur du livre de Jean Monneret et que résume le destin du PC algérien.
L’auteur montre dans un premier temps les relations compliquées entre les communistes et l’Algérie depuis la création de l’Étoile nord-africaine en 1926 au début de la guerre d’Algérie en 1954 en passant, bien sur, par la création du PC algérien en 1936. Au cœur de ce lien se trouve la difficulté pour les communistes d’articuler lutte des classes et lutte nationale, surtout dans le contexte d’une colonie de peuplement comme l’est alors l’Algérie. Si l’anticolonialisme radical prôné par le PCF dans les années 1920 peut sembler un point de convergence avec les nationalistes, très rapidement les tensions apparaissent et ne cessent de croître notamment lorsque le PCF, au moment du Front populaire, prône l’assimilation et n’envisage une éventuelle indépendance que dans un futur lointain.
Le PC algérien, chapeauté par le PCF, suit la ligne dictée depuis Paris qui, par exemple, se montre virulente pour condamner les soulèvements de Sétif et Guelma en mai 1945 et approuver la répression qui suit. Les relations sont alors particulièrement conflictuelles avec les nationalistes d’autant que si le PCA cherche à s’ouvrir aux musulmans, sa base et ses cadres sont essentiellement composés d’Européens.
L’insurrection nationaliste de la Toussaint 1954 lancées par le FLN est l’objet de critiques de la part du PCF comme du PCA. Si ce dernier opère néanmoins un rapprochement avec les nationalistes sa situation devient vite intenable et la logique de la guerre d’Algérie le broie peu à peu. Le départ de nombreux militants européens le réduit en effet à une peau de chagrin tandis que certains militants qui souhaitent participer à la lutte pour l’indépendance se retrouvent dans les Combattants de la libération, son bras armé. Il se rapproche alors de plus en plus du FLN. En 1955, les communistes sont acceptés à titre individuel au sein du Front tandis qu’en 1956, les Combattants de la libération sont intégrés au FLN. Le PCA, peu à peu marginalisé par les nationalistes, n’a plus qu’un rôle de propagande et subit les coups de la répression à la suite de son interdiction par les autorités en septembre 1955.
Jean Monneret, montre que la participation du PCA à la lutte indépendantiste durant la guerre d’Algérie fut modeste même si elle ne fut pas négligeable. L’épisode du vol d’armes par l’aspirant Maillot suivi de la tentative de former un maquis rouge, l’affaire Fernand Iveton, la présence d’artificiers communistes travaillant avec le FLN montrent que des communistes participèrent activement à la lutte mais cet appui fut marginal, à l’image d’un parti qui ne parvint jamais à devenir un mouvement de masse.
La dernière partie du livre de Jean Monneret, qui traite de l’affaire Maurice Audin, est certainement celle qui prête le plus à discussion et à débat. Pour l’auteur, les communistes ont choisi le cas Audin pour mener une vaste campagne contre l’utilisation de la torture en Algérie sans prendre en compte la réalité des faits, ni le contexte terroriste de l’époque. En ciblant volontairement les seuls militaires, ils ont oublié que ces derniers agissent avec l’assentiment des autorités civiles tandis que le FLN organise de son côté des attentats qui prennent délibérément pour cible des civils innocents. Si l’auteur ne cache pas ses opinions sur la question de la répression en Algérie, il montre aussi que pour les militaires, l’ennemi communiste était tout aussi important et dangereux que l’ennemi nationaliste. Traumatisés par l’échec indochinois, les officiers sont pour beaucoup convaincus que l’insurrection algérienne est le fruit d’une machination initiée par Moscou. Cette obsession anticommuniste explique en grande partie la vigueur de la répression contre le PC algérien dont Maurice Audin fut une des victimes, une répression disproportionnée en vérité en comparaison du rôle marginal tenu par les communistes dans l’insurrection algérienne.
Si le livre de Jean Monneret est parfois loin de la doxa dominante concernant la guerre d’Algérie, il a le grand mérite de rappeler ce que fut l’histoire du PC algérien, de ses contradictions et de ses déchirements qui le conduisirent à son échec final.