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29 novembre 2016 2 29 /11 /novembre /2016 07:37

Jean Monneret, Histoire cachée du Parti communiste algérien. De l’Étoile nord-africaine à la bataille d’Alger, Via Romana, 2016

Communistes en Algérie

Pour de nombreux historiens, les positions prises par les communistes français face à la guerre d’Algérie marquent une rupture entre le PCF et une partie de la gauche qui lui était jusque-là favorable. Les ambiguïtés communistes face à la question nationale algérienne ne datent pas de 1954 mais s’inscrivent dans une histoire plus longue, une histoire qui est au cœur du livre de Jean Monneret et que résume le destin du PC algérien.

 

L’auteur montre dans un premier temps les relations compliquées entre les communistes et l’Algérie depuis la création de l’Étoile nord-africaine en 1926 au début de la guerre d’Algérie en 1954 en passant, bien sur, par la création du PC algérien en 1936. Au cœur de ce lien se trouve la difficulté pour les communistes d’articuler lutte des classes et lutte nationale, surtout dans le contexte d’une colonie de peuplement comme l’est alors l’Algérie. Si l’anticolonialisme radical prôné par le PCF dans les années 1920 peut sembler un point de convergence avec les nationalistes, très rapidement les tensions apparaissent et ne cessent de croître notamment lorsque le PCF, au moment du Front populaire, prône l’assimilation et n’envisage une éventuelle indépendance que dans un futur lointain.

 

Le PC algérien, chapeauté par le PCF, suit la ligne dictée depuis Paris qui, par exemple, se montre virulente pour condamner les soulèvements de Sétif et Guelma en mai 1945 et approuver la répression qui suit. Les relations sont alors particulièrement conflictuelles avec les nationalistes d’autant que si le PCA cherche à s’ouvrir aux musulmans, sa base et ses cadres sont essentiellement composés d’Européens.

 

L’insurrection nationaliste de la Toussaint 1954 lancées par le FLN est l’objet de critiques de la part du PCF comme du PCA. Si ce dernier opère néanmoins un rapprochement avec les nationalistes sa situation devient vite intenable et la logique de la guerre d’Algérie le broie peu à peu. Le départ de nombreux militants européens le réduit en effet à une peau de chagrin tandis que certains militants qui souhaitent participer à la lutte pour l’indépendance se retrouvent dans les Combattants de la libération, son bras armé. Il se rapproche alors de plus en plus du FLN. En 1955, les communistes sont acceptés à titre individuel au sein du Front tandis qu’en 1956, les Combattants de la libération sont intégrés au FLN. Le PCA, peu à peu marginalisé par les nationalistes, n’a plus qu’un rôle de propagande et subit les coups de la répression à la suite de son interdiction par les autorités en septembre 1955.

 

Jean Monneret, montre que la participation du PCA à la lutte indépendantiste durant la guerre d’Algérie fut modeste même si elle ne fut pas négligeable. L’épisode du vol d’armes par l’aspirant Maillot suivi de la tentative de former un maquis rouge, l’affaire Fernand Iveton, la présence d’artificiers communistes travaillant avec le FLN montrent que des communistes participèrent activement à la lutte mais cet appui fut marginal, à l’image d’un parti qui ne parvint jamais à devenir un mouvement de masse.

 

La dernière partie du livre de Jean Monneret, qui traite de l’affaire Maurice Audin, est certainement celle qui prête le plus à discussion et à débat. Pour l’auteur, les communistes ont choisi le cas Audin pour mener une vaste campagne contre l’utilisation de la torture en Algérie sans prendre en compte la réalité des faits, ni le contexte terroriste de l’époque. En ciblant volontairement les seuls militaires, ils ont oublié que ces derniers agissent avec l’assentiment des autorités civiles tandis que le FLN organise de son côté des attentats qui prennent délibérément pour cible des civils innocents. Si l’auteur ne cache pas ses opinions sur la question de la répression en Algérie, il montre aussi que pour les militaires, l’ennemi communiste était tout aussi important et dangereux que l’ennemi nationaliste. Traumatisés par l’échec indochinois, les officiers sont pour beaucoup convaincus que l’insurrection algérienne est le fruit d’une machination initiée par Moscou. Cette obsession anticommuniste explique en grande partie la vigueur de la répression contre le PC algérien dont Maurice Audin fut une des victimes, une répression disproportionnée en vérité en comparaison du rôle marginal tenu par les communistes dans l’insurrection algérienne.

 

Si le livre de Jean Monneret est parfois loin de la doxa dominante concernant la guerre d’Algérie, il a le grand mérite de rappeler ce que fut l’histoire du PC algérien, de ses contradictions et de ses déchirements qui le conduisirent à son échec final.

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27 septembre 2016 2 27 /09 /septembre /2016 07:24

Edward Sarboni, Une revue entre les deux guerres. Le syndicalisme de La Révolution prolétarienne entre 1925 et 1939, Acratie, 2016.

La Révolution prolétarienne

La revue La Révolution prolétarienne, dont le premier numéro est édité en janvier 1925, perpétue à bien des égards le groupe de la Vie ouvrière du nom de la revue lancée par Pierre Monatte en 1909. En 1925, les proches de ce dernier ont déjà une expérience militante ancienne et ont joué un rôle fondamental dans les bouleversements qui touchent le mouvement ouvrier depuis 1914. Edward Sarboni, rappelle cette histoire née au sein de la CGT en réaction à l’abandon progressif par la direction de la confédération de la ligne syndicaliste-révolutionnaire. En 1914, Monatte et ses amis sont parmi les premiers à dénoncer la guerre et à prôner le retour à l’internationalisme prolétarien. Des membres du groupe participent ensuite à la réunion de Zimmerwald et, en 1917, apportent leur soutien à la révolution bolchevique. Par la suite, ils adhèrent au PCF, et certains comme Monatte et Rosmer intègrent la direction du nouveau parti. De par leur passé syndicaliste, ils sont également à l’œuvre au moment de la scission de la CGT et de la création de la CGTU. Mais rapidement, ils se montrent critiques face aux évolutions qui touchent aussi bien la Russie soviétique et le PCF et finissent, en 1924, par en être exclus.

 

Edward Sarboni, après avoir rappelé ce passé des membres de la Révolution prolétarienne, étudie les relations qu’entretient cette dernière avec le communisme. Il montre que jusqu’en 1930, la revue se considère toujours comme appartenant à la mouvance communiste, plus précisément à l’opposition à la direction stalinienne qui s’incarne alors dans la personne de Trotski. Mais cet attachement fait rapidement place à une critique sévère de ce dernier, notamment pour son rôle dans l’écrasement de la révolte de Kronstadt en 1921. Au début des années 1930, la Révolution prolétarienne a définitivement tourné le dos au communisme. Pour elle, le syndicalisme est redevenu le seul moyen d’arriver à l’émancipation du prolétariat.

 

La Révolution prolétarienne estime donc indispensable le retour à l’unité syndicale. Pour cela, elle fonde en 1926 la Ligue syndicaliste qui vise à rassembler des militants venant de confédérations opposées. Ses efforts pour l’unification rencontrent en définitive peu de succès et la réunification de la CGT en 1935 se réalise sans l’intervention de la Révolution prolétarienne qui se réjouit néanmoins de l’événement. La revue déchante rapidement devant la montée de l’influence communiste au sein de la confédération qui porte en elle le risque d’une subordination du syndicalisme au politique ce qu’elle refuse. A la veille de la guerre, elle accepte même l’idée de nouvelles scissions syndicales, anticipant ainsi son soutien à la formation de Force ouvrière en 1947.

 

La mise en avant de la nécessité de l’indépendance syndicale, la redécouverte de la valeur des principes du syndicalisme-révolutionnaire, le pacifisme affirmé caractérisent la démarche de la Révolution prolétarienne dans les années 1930. Si sur ces différents thèmes, les positions de la revue se rapprochent de celles des anarchistes, aucun rapprochement ne se produit entre ces deux mouvances. Pour Edward Sarboni, s’il y a une constante au sein de la Révolution prolétarienne c’est son hostilité, quasi viscéral, envers les anarchistes. Pour l’auteur, cette hostilité serait le fruit de la mauvaise conscience des animateurs de la revue, responsables par leur compromission avec les communistes, de l’effondrement du syndicalisme-révolutionnaire. Une explication qui n’emporte pas la conviction et qui n’est pas sans parti pris.

 

C’est là le principal défaut du livre d’Edward Sarboni. Sa volonté de démontrer que le syndicalisme-révolutionnaire, pour lequel il ne cache pas sa sympathie, aurait été trahi par les animateurs de la Révolution prolétarienne, au contraire des anarchistes, semble plutôt procéder d’une démarche militante qu’historienne et dessert l’ensemble de son travail. Un autre défaut du livre est sa bibliographie assez datée. Notons néanmoins la présence de reproduction de nombreux documents dont des photos des membres de la Révolution prolétarienne.

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communismeetconflits - dans Communisme français Syndicalisme Anarchisme
19 septembre 2016 1 19 /09 /septembre /2016 07:19

Paul Boulland, Des vies en rouge. Militants, cadres et dirigeants du PCF (1944-1981), Editions de l’Atelier, 2016.

Les communistes français des Trente glorieuses.

Issu de sa thèse de doctorat en Histoire, Paul Boulland, nous offre dans son livre une véritable plongée au cœur du monde communiste français au moment de son apogée. Dépassant la simple étude sociologique des militants et cadres, l’auteur, à travers l’analyse des modifications de la composition du PCF, propose une lecture originale et stimulante de l’histoire de ce dernier.

 

Pour les communistes, la composition sociale du corps militant et de son encadrement représente un enjeu politique majeur. Parti de la classe ouvrière, le PCF veut incarner concrètement cette spécificité aussi bien à la base qu’aux différents niveaux de sa hiérarchie. Pour cela, il a élaboré au cours des années 1930 le modèle du cadre thorézien qui conjugue à la fois l’origine ouvrière, la capacité à assimiler de nouvelles connaissances et l’autorité du meneur et de l’organisateur, ce modèle assurant la légitimité politique des cadres et dirigeants qui l’incarnent. Afin de maintenir ce modèle au centre de son dispositif, le PCF s’est doté à partir de 1932 d’une section des cadres renommée après-guerre section de montée des cadres. Cette dernière, à travers des questionnaires biographiques et des enquêtes, doit d’abord protéger le Parti de l’infiltration par des provocateurs, des policiers, des adversaires et, après-guerre, le purger de ceux dont la conduite sous l’Occupation ne fut pas irréprochable. La section de montée des cadres doit également sélectionner ceux et celles jugés aptes à tenir des fonctions d’encadrements à tous les niveaux du Parti. C’est donc elle qui est en première ligne pour perpétuer le modèle du cadre thorèzien.

 

Après la guerre, la légitimité politique incarnée par la conformité à ce modèle se heurte à une autre légitimité, celle issue de la Résistance. Cette concurrence débouche sur une série de crises interne mais permet de réaffirmer la primauté du modèle thorèzien, le plus à même d’assurer la cohésion du Parti en période de Guerre froide. Ce sont les changements politiques initiés à la fin des années 1950 et qu’incarne à partir de 1964 Waldeck-Rochet, le successeur de Thorez, qui vont profondément ébranler son caractère central dans l’organisation communiste. L’ouverture vers les socialistes et la volonté d’élargir les rangs du PCF débouchent dans les années 1970 sur la signature du Programme commun et la montée des effectifs. Les classes moyennes, c’est-à-dire les techniciens, fonctionnaires, ingénieurs et employés prennent alors une place de plus en plus importante alors que les ouvriers qualifiés, au cœur du modèle thorèzien, s’effacent, victimes de la crise économique des années 1970. Face à cette évolution, la direction du PCF, incarnée par Georges Marchais, réaffirme la primauté du modèle ancien, cette forme de conservatisme provoquant la rupture avec la fédération de Paris en 1979. Cette crise apparaît de manière rétrospective comme le premier signal du déclin communiste dans les années 1980.

 

Si Paul Boulland dans son ouvrage ne parle jamais des théories du sociologue Roberto Michels, le lecteur qui connaît les thèses de ce dernier ne peut manquer de constater que le PCF, à travers le modèle thorèzien, a cherché à contrecarrer une des lois que Michels a mis en évidence en étudiant le mouvement socialiste du début du 20e siècle, la tendance pour les militants disposant d’un capital culturel élevé à s’imposer comme dirigeant. Pris entre le phénomène de démocratisation de l’enseignement supérieur et la disparition de pans de la classe ouvrière traditionnelle, le PCF n’a pas su renouveler son modèle militant et s’est recroquevillé sur un schéma qui n’était plus en phase avec la société issue des Trente glorieuses.

 

Le livre de Paul Boulland, c’est là aussi tout ce qui fait son intérêt, ne se limite pas à l’étude de la composition du Parti ou des moyens pris par la direction pour la contrôler. Il offre également de nombreux aperçus du quotidien des militants et cadres. Les pages consacrées à l’étude de l’agenda d’une secrétaire de section de la région parisienne sont particulièrement éloquentes sur l’aspect chronophage du militantisme. L’auteur montre également la difficulté d’être permanent, non seulement sur le plan matériel, mais aussi dans les rapports avec les militants. Il y a aussi les cadres qui choisissent volontairement de devenir ouvrier pour être en conformité avec le modèle militant mis en avant par la direction et ceux qui refusent les promotions sans oublier les tensions qui existent pour chacun entre la vie militante et la vie familiale. Paul Boulland montre ainsi toute la diversité des militants et des cadres communistes, un univers où se côtoient abnégation et faiblesse, un monde à l’image de la nature humaine en somme. 

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communismeetconflits - dans Communisme français
31 août 2016 3 31 /08 /août /2016 07:08

Patrick Fort, Après nous, Editions Arcane, 2016.

Un « Espagnol rouge »

Ce n’est pas sans une certaine appréhension que nous avons ouvert le livre que Patrick Fort consacre à Celestino Alfonso. Depuis quelques années, en effet, la fiction s’est emparée des combattants FTP-MOI de la tristement célèbre Affiche rouge. Ainsi depuis 2009, ils ont été les protagonistes d’un film de Robert Guédiguian, d’un polar de Didier Daenincks, du livre d’Alain Blottiére sur Tomas Elek, de celui de Marie-Florence Ehret sur Olga Bancic, d’une bande dessinée sur Marcel Rayman. Cette profusion pouvait laisser craindre l’apparition dans le domaine éditorial d’un « filon » charriant le bon grain mais surtout le mauvais ivraie, celui qui naît de la facilité et de la caricature. Tel n’est heureusement pas le cas du livre de Patrick Fort, ni d’ailleurs des auteurs cités précédemment.

 

L’auteur retrace les derniers mois de la vie de Celestino Alfonso, de son arrestation à sa mort le 21 février 1944. Chaque chapitre est donc l’occasion de décrire une nouvelle étape du chemin qui mène le résistant à sa fin mais également d’analepses qui racontent son parcours avant son arrestation. Et ce destin possède quelques singularités peu connues que l’auteur met en lumière. Ainsi, si Celestino Alfonso est bien né en Espagne, il n’arrive pas en France à la fin de la guerre civile espagnole comme de nombreux compatriotes qui s’engageront dans la Résistance, mais au début des années 1930, avec sa famille, alors qu’il n’est encore qu’adolescent. Il découvre alors la banlieue ouvrière de Paris, en l’occurrence Ivry-sur-Seine, et s’intègre en trouvant un travail et en militant au sein de la Jeunesse communiste à partir de 1934. Mais quand son Espagne natale devient la proie de la guerre civile, Alfonso se porte volontaire dans les Brigades internationales. Quand il rentre définitivement en France, en février 1939, il est interné au camp de Saint-Cyprien dont il s’évade pour rejoindre sa famille.

 

Quand il s’engage dans la Résistance, Alfonso est en effet marié et père d’un petit garçon. S’il n’est pas le seul dans ce cas, cette situation semble plutôt minoritaire au sein des groupes FTP-MOI de la région parisienne. Patrick Fort raconte alors les ennuis d’Alfonso qui, pour cacher ses activités clandestines, doit mentir à son épouse, provoquant ainsi disputes et suspicions. En effet, Alfonso n’est pas un clandestin, il mène une double vie, partagé entre son emploi et ses activités résistantes. Son arrestation a ainsi lieu au moment où il rentre de son travail pour retrouver sa famille, ce qui permet à Patrick Fort d’offrir au lecteur le récit poignant de l’instant où Alfonso aperçoit les siens pour la dernière fois sans même pouvoir leur faire un signe ou leur lancer un au revoir.

 

Loin de tomber dans la facilité de l’héroïsation de son personnage, l’auteur nous dépeint un Celestino Alfonso profondément humain, plein de doutes et d’angoisses, meurtri de ne pas voir les siens, ni de recevoir de leurs nouvelles quand il est en prison. Il revient également sur les différentes actions d’Alfonso dans la lutte armée, notamment l’exécution de Julius Ritter et prend soin de ne pas donner une image totalement négative des Allemands. La bonté de l’abbé Stock « l’archange des prisons » et le courage du sous-officier qui a pris, à la dérobée, des photos de l’exécution des membres de l’Affiche rouge répondent à la brutalité des policiers français qui torturent Alfonso pour montrer que la barbarie et l’humanité n’ont pas de patrie.

 

Au final, voici un livre à la fois sobre, émouvant et bien documenté sur cet « Espagnol rouge » qui donna sa vie pour la France le 21 février 1944 au côté de 21 de ses camarades.

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18 août 2016 4 18 /08 /août /2016 07:34

Jean Vigreux, Histoire du Front populaire. L’échappée belle, Taillandier, 2016.

La vie est à nous

Les commémorations d’événements historiques sont depuis quelques années systématiquement accompagnées d’une floraison éditoriale où la quantité n’est pas toujours synonyme de qualité. Les 80 ans du Front populaire n’échappent pas à ce phénomène même si dans ce cas le nombre de publications est moindre que pour d’autres événements et la qualité des ouvrages publiés bien meilleurs. Parmi ces derniers, celui de Jean Vigreux apparaît comme la synthèse la mieux réussie.

 

Le livre de Jean Vigreux, s’adressant au plus grand nombre, apparaît au premier abord d’une facture assez classique, adoptant un plan chronologique qui, après un tableau de la crise à la fois économique, politique et sociale qui touche la France dans la première moitié des années 1930, retrace la genèse et le développement de la coalition de Front populaire jusqu’à la victoire électorale de mai 1936. La suite de l’ouvrage étudie le Front populaire au pouvoir, donnant une large place aux grèves de juin et aux différentes réformes initiées par le gouvernement Blum, puis son déclin et sa fin avec l’arrivée de Daladier au pouvoir. Pour terminer, les deux derniers chapitres analysent l’ampleur du phénomène de politisation ainsi que la façon dont les différents secteurs de la société ont vécu la période.

 

Si l’auteur, à la lumière des travaux historiques les plus récents, retrace les différentes étapes, déjà bien connues, de l’histoire du Front populaire, il élargit son propos bien au-delà du simple horizon de l’histoire politique ou sociale traditionnelle concernant cette période. Ainsi, sur le plan social, si Jean Vigreux consacre une part importante de son livre au monde ouvrier, il offre de nombreux passages traitant de la situation et des conflits au sein de la société rurale. Le rôle des intellectuels, de l’Église, du patronat, des femmes n’est pas oublié de même que la façon dont l’expérience du Front populaire est vécue dans les régions et dans les colonies françaises. A ce titre, Jean Vigreux innove dans l’historiographie du Front populaire en nous offrant la première histoire globale du Front populaire de ce moment clef de l’histoire française contemporaine.

 

La démarche de Jean Vigreux permet ainsi de « casser » certains mythes concernant le Front populaire. Ainsi, si cette période fut marquée par de nombreuses espérances et une certaine joie de vivre, elle fut aussi un moment de grandes tensions, de haines et de violences. Elle fut aussi celle de profondes restructurations politiques. Si à gauche, l’unité des débuts laisse la place à des divisions, aussi bien entre les formations politiques qu’à l’intérieur de celles-ci, notamment au sein de la SFIO et du parti radical, la droite voit l’émergence du Parti social français, véritable parti de masse. Jean Vigreux montre d’ailleurs que l’attraction exercée par le PSF sur de larges franges de l’électorat radical pousse le parti radical à se rapprocher de la droite, conduisant ainsi à mettre fin à la coalition de Front populaire.

 

Le livre de Jean Vigreux, claire et accessible aux non-spécialistes, magistrale synthèse sur ce moment clef de l’histoire politique et sociale française où l’État s’arroge un rôle régulateur et interventionniste, est un passage obligé pour tous ceux qui veulent découvrir ou redécouvrir, au-delà des mythologies et des simplifications cette « échappée belle » que fut le Front populaire.

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4 août 2016 4 04 /08 /août /2016 07:49

Les saisons d’Alsace, n° 68, printemps 2016, « 1936. Des grandes grèves aux premiers congés payés. »

« Frieden, Arbeit und Brot », le Front populaire en Alsace

A l’occasion de l’anniversaire de l’élection du Front populaire, Les saisons d’Alsace publient un excellent dossier sur l’année 1936 dans la région alsacienne. Cette dernière, redevenue française en 1918, est marquée par certaines spécificités issues à la fois de son passé allemand et des modalités de son retour dans le giron français. Les années 1920 ont été marquées par une profonde incompréhension. Les autorités françaises ont en effet essayé de remettre en cause ces spécificités, notamment le régime condordataire, entraînant en retour le développement d’un mouvement autonomiste puissant en Alsace. Le début des années 1930 est marqué par la crise économique qui touche particulièrement la région, notamment avec le rattachement de la Sarre à l’Allemagne en 1935.

 

C’est dans ce contexte particulier que s’organise et se développe le Front populaire en Alsace. Les craintes provoquées par l’avènement du nazisme en Allemagne sont particulièrement sensibles dans une région qui accueille de nombreux antifascistes allemands. Les réseaux d’entraides avec les camarades d’outre-Rhin pour publier et diffuser dans le Reich une propagande antifasciste sont à ce titre un ciment essentiel du Front populaire alsacien. Si ce dernier obtient des succès lors d’élections locales comme lors des cantonales à Colmar en 1934 ou des municipales à Mulhouse en 1935, les élections législatives de mai 1936 sont un échec, la région reste à droite et seul un communiste est élu député à Strasbourg. Le mois de juin 1936 est marqué par une vague de grève avec occupation d’usine sans précédent en France. Si le mouvement touche tardivement l’Alsace, il prend néanmoins un caractère massif, qui s’exprime notamment à l’occasion de grandes manifestations organisées les 14 juin et 14 juillet 1936.

 

L’été 1936 est marqué par les premiers congés payés. Si de nombreux ouvriers alsaciens bénéficient déjà de cet acquis avant 1936, certains depuis des dizaines d’années, sa généralisation inaugure la société des loisirs. Si la grande majorité des ouvriers alsaciens n’est pas partie en vacances durant l’été 1936, ce nouveau temps de repos est vécu comme une libération qui renforce les solidarités populaires et familiales. Les gens se retrouvent dans les Biergarten ou les jardins ouvriers, certains en profitent pour retourner dans leur famille à la campagne et participer aux travaux des champs. Une minorité quitte la ville pour partir en excursion, notamment dans les Vosges, profitant du développement des auberges de jeunesse et d’un réseau d’hébergement mis en place par les mouvements sportifs et de loisirs ouvriers mais également par les organisations catholiques.

 

Après le bel été 36, l’automne 1936 les opposants au Front populaire relever la tête. En Alsace, ce sont les catholiques qui se mobilisent contre le décret du gouvernement qui relève l’age de la scolarité obligatoire. Ils voient dans cette décision une attaque directe à la fois contre l’enseignement de l’allemand et celui de la religion. La figure de Léon Blum est alors l’objet de nombreuses attaques qui flirtent parfois avec un antisémitisme ouvert avant que le conflit ne s’éteigne avec la chute du gouvernement Blum au printemps 1937, prélude à la fin du Front populaire.

 

Au confluent de l’histoire nationale et locale, le dossier des Saisons d’Alsace montre tout l’intérêt qu’il y a à relire les grands événements nationaux dans un cadre régional et d’examiner les interactions qui se produisent entre les deux échelles. Au-delà des aspects sociaux et politiques du Front populaire, il offre également un instantané de la vie en Alsace à la fin des années 1930 explorant aussi bien les spécificités de la société rurale, les innovations dans l’industrie automobile ou le développement du cinéma amateur. L’ensemble est accompagné de nombreuses illustrations qui donnent à voir l’Alsace à la veille de l’immense catastrophe que fut pour elle la Seconde Guerre mondiale.

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25 juillet 2016 1 25 /07 /juillet /2016 07:00

Gérard Soufflet, Maquisards russes en Bourgogne. Histoire du détachement Léningrad, 1943-1944, Éditions de l’Armançon, 2016.

Résistants soviétiques en Bourgogne

La participation de Soviétiques à la Résistance en France est encore un sujet mal connu qui, à notre connaissance, n’a pas encore été l’objet d’une étude systématique. L’ouvrage de Gérard Soufflet représente de ce point de vue une avancée historiographique en retraçant le destin d’un groupe de maquisards russes entre la Saône et Loire, la Nièvre et la Côte d’Or de 1943 à 1944.

 

Ces maquisards sont pour la plupart d’anciens soldats de l’Armée rouge fait prisonniers par la Wehrmacht sur le front de l’Est et envoyé en France, principalement dans les bassins miniers du Nord et de Lorraine, pour servir de main-d’œuvre. Parmi ces groupes de prisonniers des organisations de résistance voient le jour et des évasions ont lieu. Il revient à la MOI, la structure du PCF chargée d’encadrer les étrangers, de prendre en charge et d’organiser ces évadés soviétiques.

 

Dés l’été 1943, la MOI envoie des Soviétiques dans la région de Montceau-les-Mines où existe un groupe de FTP polonais assez actif. En octobre 1943, suite à des arrestations, les Soviétiques accompagnés de certains Polonais forment un maquis au nord de Chalon-sur-Saône. Ce maquis sovieto-polonais, qui maintient des contacts permanents avec la direction de la MOI à Paris par le biais d’agents de liaison, rayonne sur la région jusqu’en mars 1944. La coexistence en son sein est difficile, les Russes se montrent parfois brutaux avec les civils et n’hésitent pas à se livrer à des actes de banditisme provoquant le mécontentement des Polonais. Un jeune Polonais est même abattu par un camarade soviétique pour avoir trop protesté contre les brutalités russes.

 

Finalement, en mars 1944, les Polonais quittent le maquis Léningrad tandis que les Soviétiques rejoignent le sud de la Nièvre. En réalité, ils combattent encore quelques mois cote à cote en tant que troupes de choc du maquis FTPF Valmy et participent à de nombreux combats entre la Nièvre et la Saône et Loire. La séparation a définitivement lieu en août 1944. Les Polonais forment des unités qui sont conçues comme les noyaux de la future armée de la Pologne libérée. Les Soviétiques quant à eux rejoignent la Côte d’Or et intègrent le maquis Maxime Gorki qui regroupe des combattants étrangers. Ils participent alors aux attaques contre les colonnes allemandes en retraite ainsi qu’à la libération de Châtillon-sur-Seine, quelques jours avant que les troupes alliées venant de Normandie et de Provence ne fassent leur jonction à quelques kilomètres de là, le 12 septembre 1944.

 

L’auteur s’appuie sur un riche corpus archivistique, aussi bien des témoignages, parfois inédits, que les fonds des archives départementales, du service historique de la Défense ou de l’Institut de la mémoire nationale à Varsovie pour retracer ce morceau de l’histoire de la Résistance étrangère en France. Surtout il démontre que l’étude locale de la Résistance permet tout à la fois d’ébranler certains mythes et d’éclairer des lignes politiques élaborées au niveau national voire international. Pour ce qui est des mythes, le livre de Gérard Soufflet montre que le maquis soviétique a bénéficié au moins une fois d’un armement provenant d’un parachutage britannique contredisant la vulgate d’une résistance communiste défavorisée par Londres. Il écorne d’autres légendes en mettant en lumière les dérives vers le banditisme, les tensions entre les différentes nationalités, les méprises tragiques lors d’embuscades.

 

Les tribulations des maquisards soviétiques en Bourgogne mettent aussi en lumière la place particulière de la MOI dans le dispositif communiste en tant que courroies de transmission de la politique soviétique en France. C’est sur son ordre que les maquisards soviétiques se séparent de leurs camarades polonais qui en prévision de l’après-guerre sont destinés à rentrer en Pologne former l’armature du nouveau pouvoir communiste. A ce moment, les Soviétiques, plutôt que de rejoindre les FTPF, se regroupent pour se placer sous les ordres des résistants gaullistes. Pour l’auteur cette décision, qui prive la résistance communiste de l’appui de combattants expérimentés, montre que dès l’été 1944 Staline a abandonné l’idée d’une prise de pouvoir par les communistes français.

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12 juillet 2016 2 12 /07 /juillet /2016 06:59

Joël Forthoffer, Georges Wodli. Cheminot et résistant, Vent d’Est éditions, 2016.

Une figure du communisme alsacien

Dans un petit livre, Joël Forthoffer retrace les grandes lignes de la vie de Georges Wodli, figure centrale de la mémoire communiste en Alsace. Wodli naît avec le 20e siècle dans une famille modeste de Schweighouse-sur-Moder, près d’Haguenau, une petite ville du Reichsland allemand depuis 1871. Fils de cheminot, il entre comme apprenti aux ateliers ferroviaires de Bischheim près de Strasbourg où il travaille jusqu’à sa mobilisation en 1918 dans l’armée allemande.

 

Affecté comme matelot dans la Kriegsmarine, Georges Wodli participe en novembre 1918 à la mutinerie de la flotte à Kiel qui marque le début de la Révolution allemande. De retour dans une Alsace redevenue française, Wodli est obligé d’effectuer son service militaire dans la marine à Toulon. En 1922, il s’installe en région parisienne afin d’apprendre le français, une langue qu’il ne maîtrise pas comme une grande majorité d’Alsaciens passés par l’école allemande. C’est lors de son séjour en région parisienne que Wodli commence à militer, d’abord au sein de la CGTU avant de rejoindre le PCF après avoir fait la connaissance de Pierre Sémard.

 

De retour aux ateliers ferroviaires de Bischheim en 1925, Wodli poursuit son engagement notamment dans le syndicalisme cheminot. En 1929, lors de la scission qui secoue le communisme alsacien il reste fidèle au PCF et commence à apparaître comme un militant d’importance. Il devient, en 1930, secrétaire de la fédération unitaire des cheminots d’Alsace-Lorraine mais également membre du bureau régional du PC et effectue un premier voyage en URSS. Il intègre le comité central du Parti en 1932.

 

Durant le Front populaire, Wodli participe activement à la réunification syndicale en Alsace. Il devient aussi le pivot des multiples actions de soutien des communistes alsaciens envers leurs camarades allemands. A ce titre il participe à la rédaction de la presse clandestine communiste allemande et à son acheminement vers le Reich.

 

En septembre 1939, Wodli est mobilisé mais en raison de ses responsabilités au sein du PCF il est interné dans différents centres. Il s’évade d’un camp dans l’Isère en septembre 1940 ce qui lui vaut une condamnation par défaut de la part de la justice de Vichy et l’oblige à la clandestinité. A Paris, la direction du PCF lui confie la responsabilité des liaisons avec les régions annexées d’Alsace et de Moselle. Au début de 1941, il retourne en Alsace pour reconstituer l’organisation communiste en tant que délégué interrégional du comité central.

 

Ce ne sont pas les autorités allemandes qui mettent fin à l’activité de Wodli mais la police française qui l’arrête en octobre 1942 alors qu’il loge à Chatou dans les Yvelines. Il est alors remis à la police allemande et transféré en Alsace au camp de Schirmeck. Il meurt sous la torture, début avril 1943, au siège de la Gestapo de Strasbourg et son corps est incinéré dans le crématorium du camp de concentration du Struthof.

 

Le livre de Joël Forthoffer, malgré une iconographie abondante et originale, laisse hélas un peu le lecteur sur sa faim. Le format réduit de la collection dans laquelle cette biographie est éditée ne permet pas en effet d’aller au-delà des grands traits du destin de Wodli. Il a néanmoins le mérite de permettre de redécouvrir le destin de ce responsable communiste et, à travers lui, de ce que fut le communisme alsacien dans la première moitié du 20e siècle, en attendant la publication, un jour, d’une monographie plus ample sur ce sujet.

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17 février 2016 3 17 /02 /février /2016 07:17

Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Camarade, la lutte continue ! De la Résistance à l’espionnage communiste, Robert Laffont, 2015.

Un réseau d’espionnage communiste en France dans les années 1950

Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, auteurs d’ouvrages remarqués sur la Résistance communiste, délaissent quelque peu, dans cet ouvrage, leur période de prédilection, pour explorer les arcanes du renseignement communiste en France dans les années 1950, en livrant une passionnante enquête sur un réseau polonais. Pour cela, comme à leur habitude, ils exploitent de nombreux dossiers issus de divers fonds d’archives : Archives nationales, archives de la Préfecture de police de Paris, de la Justice militaire, du Service historique de la Défense mais surtout de l’Institut polonais de la mémoire nationale (IPN).

Au cœur du récit de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, se tient Jerzy Bryn, né dans une famille juive de Varsovie en 1916 avant d’adhérer à une organisation sioniste de gauche et d’émigrer en Palestine alors sous mandat britannique. Bryn milite parmi les communistes palestiniens et rejoint les Brigades internationales lors de la guerre civile espagnole. Après un passage dans les camps d’internement français il regagne la Palestine qu’il quitte en 1947 pour rejoindre la Pologne communiste. Il est recruté par les services de renseignements pour former un réseau d’espionnage en France. Il accomplit sa mission entre 1949 et 1952. De retour en Pologne, il effectue différentes missions pour l’armée avant de rejoindre le ministère des Affaires étrangères en 1957. C’est dans ce cadre qu’il se rend au Japon où il décide en 1958 de passer à l’Ouest.

Hélas pour Bryn, les services américains ne le croient pas sincère et le soupçonnent de vouloir les infiltrer pour le compte des Polonais. Il décide donc de retourner en Pologne où il affirme, pour expliquer son absence, avoir été kidnappé par les Américains. Mais les Polonais sont persuadés qu’il a été retourné par la CIA et travaille pour eux. Bryn est arrêté, jugé en 1961 et condamné à mort en 1962. Sa peine est commuée en prison à perpétuité et il meurt derrière les barreaux en 1976.

C’est dans les archives de l’IPN que les auteurs ont retrouvé les pièces de l’instruction et du procès de Bryn leur permettant une plongée dans les arcanes du réseau d’espionnage que ce dernier a mis en place en France. Un réseau existe déjà à son arrivée, qu’il reprend et cherche à développer après s’être soigneusement constitué une couverture. Les agents français qu’il recrute sont avant tout des militants communistes sincères le plus souvent anciens des FTP et de la MOI. Des communistes français sont aussi recrutés mais sans que le PCF ne soit mis au courant.

Les auteurs racontent en détail le fonctionnement de ce réseau, son étendu, les moyens de communication entre les agents et Bryn, les informations recherchées, le plus souvent de nature scientifique ou militaires. Le réseau sera finalement démantelé par la DST durant les années 1950 et ses participants, dont Adam Rayski qui fut pendant la guerre l’un des chefs des FTP-MOI, seront jugés par un tribunal militaire en 1962.

Le livre de Berlière et Liaigre, qui se lit comme un roman policier, s’il lève le voile sur l’espionnage polonais en France après la guerre, un sujet mal connu, interroge surtout le lecteur sur la porosité des frontières entre convictions idéologiques, militantisme politique et espionnage au sein du mouvement communiste.

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10 février 2016 3 10 /02 /février /2016 07:29

Frédéric Charpier, L'agent Jacques Duclos. Histoire de l'appareil secret du Parti communiste français (1920-1975), Le Seuil, 2015.

Jacques Duclos et la face cachée du PCF

La vie de Jacques Duclos se confond avec l’âge d’or du communisme français. Adhérent du PCF dès le congrès de Tours en 1920, il suit la première école des cadres du Parti à Bobigny en 1924 avant d’être élu député de la Seine et membre du comité central en 1926. À partir de ce moment-là il ne quitte plus la direction du PC jusqu’à sa mort en 1975.

 

Jacques Duclos effectue son premier voyage à Moscou en 1930 où il est remarqué par la direction du Komintern. Il devient dès le début des années 1930, le second de Maurice Thorez mais surtout l'homme du Komintern en France. Fidèle stalinien, il entérine et fait appliquer au sein du PCF les différents tournants politiques imposés par Moscou. Il est à la manœuvre lors du Front populaire avant de soutenir le pacte germano-soviétique et de diriger le PCF clandestin durant la guerre. Après la Libération il appuie successivement la politique d'ouverture du PCF puis le tournant de la guerre froide. Il atteint l'apogée de son influence entre 1950 et 1964 quand la maladie de Thorez oblige celui-ci à de nombreux séjours en URSS. Après 1964, Duclos perd quelque peu de son poids dans le PC avant de se retrouver candidat à l'élection présidentielle de 1969 où il obtient plus de 20 % des suffrages ! Sa mort en 1975 est l'occasion d'une des dernières grandes manifestations communistes en France puisque son cercueil est suivi par une foule de plus de 200 000 personnes et par l'élite du communisme international.

 

Frédéric Charpier, s'il suit les étapes de la carrière de Duclos, met en avant la face cachée de son action politique. Homme de confiance du Komintern, rompu à l'art de la clandestinité, il joue un rôle central dans l'organisation de l'action antimilitariste communiste, dans la formation des groupes de combat, dans la lutte contre le trotskisme puis le titisme après guerre, dans le financement du PCF, dans l'organisation de l'aide à l'Espagne républicaine. Pendant l'occupation, il supervise les négociations avec les Allemands pour la reparution de l'Humanité, puis après l'invasion de l'URSS la lutte armée qui débute avec l'attentat du métro Barbés. Il est également au cœur des purges qui frappent la direction du PCF, notamment dans les années 1950, avec les exclusions de Marty, Tillon et Lecoeur. Œil de Moscou au sein du PCF, l'auteur rappelle que Duclos a lui-même failli être victime des purges stalinienne à la fin des années 1930.

 

Le livre de Frédéric Charpier aurait pu être la biographie de référence sur Jacques Duclos. Hélas presque aucune source n'est citée. Si l'auteur tient à remercier ceux qui lui ont donné accès à des archives des services de renseignements français, britanniques et américains, les documents utilisés ne sont pas signalés et quant à de rares exceptions ils le sont, le plus souvent issu des Archives nationales ou des archives de la Préfecture de police de Paris, il ne prend jamais le soin d'indiquer leur cote. Plus gênant à notre avis, à aucun moment il ne semble que l'auteur a effectué des recherches au sein des fonds du Komintern à Moscou ou même au sein des archives du PCF consultable aux archives départementales de Bobigny.

 

La bibliographie utilisée est quant à elle largement datée, la moitié des titres cités datent d'avant 1990. Pas une mention n'est faite aux travaux de Roger Bourderon, de Franck Liaigre et Jean-Marc Berlière, que l'auteur semble néanmoins connaître, pour la période de l'Occupation ni aux carnets de Marcel Cachin ou au journal de Dimitrov.

 

Ceci est d'autant plus dommageable que Frédéric Charpier fourni des informations sures, c'est le cas notamment pour un sujet que nous connaissons particulièrement bien, les groupes de défense antifascistes et le Front rouge. Il pointe également le projecteur sur des personnages importants de l'histoire du communisme mais qui reste encore dans l'ombre comme Rosa Michel.

 

En ne citant pas ses sources, l'auteur empêche que son ouvrage puisse servir de point de départ pour d'autres chercheurs. A titre personnel, concernant les groupes de combat communistes, que ce soit dans les années 20 ou au temps du Kominform, cela nous interdit d'aller à notre tour consulter ces documents. La recherche historique est essentiellement un travail d'accumulation de connaissances où le chercheur s'appuie sur les travaux de ses prédécesseurs pour aller plus loin, explorer de nouveaux domaines ou interroger les documents déjà connus avec de nouvelles questions. Pour cela, le livre de Frédéric Charpier conduit, hélas, à une impasse.

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Publications de David FRANCOIS

GuideICSerge Wolikow, Alexandre Courban, David François, Christian Oppetit, Guide des archives de l'Internationale communiste, 1919-1943, Archives nationales-MSH Dijon, Paris-Dijon, 2009. 

9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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