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27 décembre 2012 4 27 /12 /décembre /2012 09:28

 

Anthony Read, The World on Fire. 1919 and the Battle with Bolshevism, Norton and Company, 2008.

 

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Novembre 1918 est certainement le moment où les conséquences de la Révolution russe de 1917 se font pleinement sentir en Europe. Alors que des millions d'hommes sont morts sur les champs de bataille, dans les quatre pays vaincus (Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire ottoman, Bulgarie) les anciennes élites sont chassées. Si chez les Alliés le sentiment de soulagement prévaut parmi les dirigeants s'installe alors l'idée qu'à l'adversaire allemand vaincu s'en substitue un nouveau, le bolchevisme.


Les Alliés font d'ailleurs un emploi très extensif du terme bolchevik dans lequel ils ont tendance à englober l'ensemble des menaces qui planent sur l'ordre social. Il n'est donc pas étonnant que pour de nombreux militaires, britanniques en particulier, il recouvre également aussi bien le terrorisme irlandais que les manifestations d'opposition à la domination britannique en Inde. Pour les autorités britanniques la simple remise en cause de l'Empire ne peut alors être que le fruit des intrigues bolcheviques. La même appréhension touche la France où le bolchevisme est d'abord vue comme une nouvelle arme de l'Allemagne.


Il semble que ce soit cette méconnaissance, mais aussi le manque d'organisation du bolchevisme, qui le rende alors si effrayant. En effet, après 1945 la situation sera différente puisqu'alors Staline est considéré comme un politicien ordinaire qui respecte le partage de l'Europe réalisé avec Churchill et qui tient assez solidement les partis communistes afin d'éviter les flambées révolutionnaires. En 1918, les choses sont bien différentes. Les bolcheviks ne contrôlent alors que partiellement une Russie en proie à la guerre civile tandis que ceux qui, dans le monde, se prétendent communistes connaissent mal la pensée léniniste et font preuve d'un extrémisme que Lénine dénoncera comme gauchiste.


La difficulté à définir cette nouveauté internationale qu'est le bolchevisme explique en partie que pour ses adversaires toute émeute, mutinerie ou grève ne puissent être que le fruit de son action destructrice. En réaction naissent d'ailleurs des organisations qui se donnent pour tache de le combattre que ce soit le mouvement fasciste en Italie, les corps-francs en Allemagne ou le Klu Klux Klan qui renait dans le sud des États-Unis.


L'année 1919 apparaît bien comme une année de profonds troubles où le monde semble hésiter quand à son avenir à l'instar de ce que fut l'année 1789. Si Lénine veut clairement qu'advienne la Révolution mondiale, et le Komintern est fondé dans ce sens en mars 1919, les Alliés interviennent quand à eux directement en Russie pour combattre les Rouges. Mais sans vision stratégique cohérente, ni la possibilité d'accroitre leur effort militaire, sous peine de mutineries, cette intervention est vouée à l'échec.


Si l'Allemagne est la proie de la guerre civile et semble alors sur le point de basculer du coté bolchevik, Read montre également que les États vainqueurs ressentent plus gravement que l'on n'a pu le penser les contrecoups de la vague révolutionnaire. En Grande-Bretagne, outre les grèves, les soldats sont proches de la mutinerie et Read dévoile que la hiérarchie militaire est alors proche de perdre le contrôle des troupes. Les États-Unis connaissent quand à eux le Red Scare, la peur du rouge qui n'a rien à envier au maccarthysme des années 1950 puisqu’elle se traduit par le développement des émeutes raciales et la montée de la xénophobie.


Anthony Read conte de manière précise l'ensemble des événements qui secouent ainsi l'Europe et l'Amérique en 1919. Il maitrise assez sa documentation pour que sa recension de faits se déroulant en différents points de la planète donne un effet cumulatif convaincant. Mais le lecteur peut regretter que le parti pris de ne considérer que l'année 1919, s'il permet de montrer l’intensité de la peur anticommuniste qui s'empare alors d'une partie de l'opinion mondiale, empêche néanmoins de comprendre à long terme les conséquences de la Révolution russe. La disproportion de traitement entre le monde anglo-saxon, principalement la Grande-Bretagne et les États-Unis et le reste du monde est également décevante. Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence, pour la déplorer, la comparaison, qu'affectionne l'auteur entre le bolchevisme et l'islamisme terroriste du début de ce siècle. D'autant que ce raccourci, sorte de tarte à la crème néo-conservatrice ne repose, là encore, sur aucune démonstration sérieuse.

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communismeetconflits - dans Komintern
26 décembre 2012 3 26 /12 /décembre /2012 09:20

Tom Van Eersel, Panthères noires. Histoire du Black Panther Party, L'échappée, Paris, 2006.

 

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Tom Van Eersel est un journaliste qui, dans cet ouvrage, offre au grand public une première synthèse sur l'histoire du mouvement américain des Blacks Panthers. L'ouvrage, composée de cinq parties chronologiques, retrace l'histoire de ce mouvement depuis la fondation du Black Panther Party (BPP) en 1966 jusqu'à nos jours.


Il présente d'abord, dans une première partie, le contexte dans lequel émerge ce mouvement, c'est à dire au milieu d'une Amérique où dominent à la fois un profond anticommunisme et l'émergence du mouvement des droits civiques. C'est d'ailleurs au sein de ce dernier qu'apparaissent des militants qui se nourrissent des écrits de Marcus Garvey, de Franz Fanon et de Malcolm X. Le livre décrit de manière claire la période de la désagrégation légale entre 1954 et 1964 et les pratiques pacifiques qui l'accompagnent. Mais les émeutes de Los Angeles en 1965, les assassinats de Luther King, de Malcolm X et des frères Kennedy posent rapidement la question de la nécessité de la violence au sein du mouvement noir.


Le BBP qui nait à Oakland en Californie en 1966 se veut avant tout l'héritier de Malcolm X et souhaite mettre la violence au cœur de l'action émancipatrice en réaction à la non-violence qui caractérise la pensée de Luther King. Rapidement le parti se déclare communiste et ordonne à ses membres de lire le petit livre rouge de Mao. Il prône alors le renversement du gouvernement américain dans le cadre d’une révolution internationaliste anticapitaliste. Le principe d’un droit à l’armement et à l’autodéfense qu'affirme le BPP et qu'il met en application à travers une discipline et un uniforme de type militaire attire rapidement l'attention sur lui aussi bien des médias que des autorités d'autant qu'il cherche à contrôler l’action de la police tout en établissant une rhétorique violente qui assimile les policiers à des porcs qu’il faut abattre.


Les deux parties suivantes du livre s'attachent à décrire la réaction des autorités face à l'influence grandissante du BPP. Le FBI se lance alors dans une guerre ouverte contre ses militants. Ce harcèlement continuel précipite rapidement la chute de l'organisation qui se scinde en deux en 1971. Une branche clandestine, la Black Liberation Army se lance alors dans la lutte armée à travers des braquages et des assassinats jusqu'à sa dissolution en 1981. Dans le même temps les sections du BPP s'éteignent progressivement. Seule reste active durant les années 1970 celle d'Oakland qui met pourtant un terme à son action en 1982.


Un dernier chapitre se penche sur la mémoire du BPP. Disons le d'emblée, l'auteur veut montrer que ce parti est bien plus complexe que l'image d'un mouvement raciste et paramilitaire qu'il renvoie à travers les médias. Il analyse donc de manière approfondie son programme et une forme d'activisme qui se veut également sociale et économique. Le BPP ouvre en effet des écoles, des cliniques gratuites et surtout il offre des petits-déjeuners gratuits aux enfants pauvres. Pour l'auteur le véritable succès du mouvement se trouve dans ce travail social, qui fait du BPP une organisation réformiste sociale plutôt qu’un parti révolutionnaire violent.


Bien construit, ce livre n'est pas celui d'un universitaire. La bibliographie est assez mince, majoritairement francophone, et les références et notes sont trop souvent absentes. Mais l'ouvrage de Van Eersel est bien écrit avec une mise en page agréable. Il est en outre accompagné d'une chronologie et d'une filmographie. Il constitue à notre avis une excellente introduction et synthèse sur l'histoire des Blacks Panthers, un mouvement politique américain si singulier et largement méconnu en France.

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communismeetconflits - dans Communisme aux Etats-Unis
24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 08:40

Maurice Carrez, La fabrique d'un révolutionnaire, Otto Wilhelm Kuusinen (1881-1918). Réflexions sur l'engagement politique d'un dirigeant social-démocrate finlandais, 2 tomes, Méridiennes, Toulouse, 2010.

 

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Voici un ouvrage passé largement inaperçu si ce n'est des quelques rares spécialistes du sujet. Et pourtant nous avons affaire là à un monument et, osons le mot, à un petit chef d’œuvre de savoir, d'érudition et d'intelligence.


Maurice Carrez est professeur à l'Université de Strasbourg après plusieurs années passées à Dijon où il a soutenu en 2006 son habilitation à diriger les recherches dont il a tiré le livre que nous présentons ici. Spécialiste de la Finlande et de l'histoire du mouvement ouvrier, Maurice Carrez nous livre une biographie d'Otto Wilhelm Kuusinen, mais seulement une biographie partielle qui se termine en 1918 quand Kuusinen rejoint en même temps la Russie soviétique et le communisme. A partir de ce moment il devient un dirigeant kominternien et reste à Moscou jusqu'à sa mort en 1964.


Le livre impressionne par la masse archivistique qu'il met en œuvre sur la base de différentes sources : Bibliothèque et Archives centrales de l’Université d’Helsinki, fonds de l’ancien parti social-démocrate, conservés aux Archives ouvrières, dépendantes de l’actuel parti social-démocrate, Archives Nationales, Bibliothèque du Parlement, Archives du Peuple financées par la Ligue de gauche, héritière des démocrates populaires et des communistes finlandais, publications du parti social-démocrate et des syndicats, écrits de Kuusinen, témoignages de contemporains. Cet ensemble permet de suivre sur prés de 800 pages la vie de Kuusinen entre 1881 et 1918.


Le plan de l'ouvrage est chronologique. Le lecteur suit l'enfance et la jeunesse de Kuusinen. Issu du monde rural ce dernier s'initie à la politique lors de ses études au lycée puis à l'Université d'Helsinki. A partir de 1906, moment où il devient un leader national du Parti social-démocrate, le lecteur est amené à connaître les différentes étapes de sa carrière politique. Maurice Carrez analyse alors de manière fine les évolutions de sa pensée et de son action alors que Kuusinen est à la fois dirigeant socialiste, dont il dirige l'école centrale, mais également un parlementaire attentif aux questions constitutionnelles. Le lecteur apprendra ainsi avec surprise que Kuusinen est beaucoup plus familier avec les écrits de Kautsky qu'avec ceux de Lénine qu'il ignore jusqu'en 1918.


Mais pour comprendre « la fabrique d'un révolutionnaire », Maurice Carrez se livre surtout à une étude fine des réalités économiques, sociales et culturelles de la Finlande. Il décrit ainsi les paysages, les villes, les ateliers, le système éducatif. Il montre également l'histoire et le fonctionnement du parti social-démocrate finlandais, le plus puissant d’Europe en termes d’influence électorale. Il expose surtout la naissance chaotique d'un État, cette Finlande, qui bénéficie depuis 1809 d'une autonomie précaire au sein de l'Empire russe, constamment menacée de russification, souvent contrainte au compromis mais capable de résister, voire de s'insurger, et qui retrouve son indépendance en 1917, avant de basculer dans la violence.


La révolution russe est en effet un tournant dans l'histoire de la Finlande et pour le destin de Kuusinen. Ce dernier veut alors que son pays se sépare de la Russie en établissant une République indépendante aux côtés d’un peuple russe libéré. Mais les problèmes sociaux aggravés par la guerre radicalisent l'opinion et provoquent une agitation populaire à laquelle répond la création des gardes civiques par les partis bourgeois finlandais qui souhaitent également profiter des événements pour obtenir l’indépendance. La société finlandaise se divise. Si dans les villes dominent les social-démocrates, à la campagne leurs adversaires se préparent. La guerre civile commença en Carélie vers le 20 janvier 1918. A Helsinki, le parti social-démocrate prend le pouvoir le 28 janvier. Chargé de l’éducation, Kuusinen ne se fait pas d’illusions sur les chances de victoire. Le pouvoir socialiste mène une lutte peu efficace contre ses adversaires avec des troupes indisciplinées tandis que l’Allemagne soutient les Blancs. La révolution échoue et lui succède une féroce répression à laquelle Kuusinen échappe en se réfugiant en Russie. A la lecture des lignes que consacre Maurice Carrez à cette guerre civile finlandaise l'on ne peut d'ailleurs que regretter qu'il n'existe pas, en français, un livre sur la question.


L'ouvrage de Maurice Carrez, le lecteur l'aura compris, est une référence incontournable, non seulement pour connaitre l'histoire de la Finlande mais plus largement l'histoire de l'Europe au tournant des XIX° et XX° siècles. Le texte est en outre accompagné de nombreuses illustrations, d'une volumineuse bibliographie et d'un solide index qui en fait également un précieux instrument de travail. Cette lecture est en outre indispensable pour tous ceux qui, à la veille du centenaire de son déclenchement, s'intéresse à l'histoire du premier conflit mondial et aux conflits nombreux qui lui succèdent.

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communismeetconflits - dans Communisme en Finlande
22 décembre 2012 6 22 /12 /décembre /2012 09:32

Emmanuel Le Roy, Albert Clavier, Dans la nuit la liberté nous écoute, Le Lombard, 2011.

 

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Voici une bande-dessinée qui se veut avant tout une biographie, celle d'Albert Clavier, un jeune grenoblois, frère d'un résistant déporté, qui dès la fin, alors qu'il est proche des communistes, de la guerre s'engage dans l'armée, plus précisément l'artillerie coloniale pour à la fois servir la France et voir du pays. Il est envoyé en Indochine. Là, contrairement au discours officiel qui prétend que la France défend la civilisation, il se rend compte que la guerre qu'il mène est faite d'exactions multiples. Albert Clavier essaye alors de se faire reformer mais il est envoyé à Lang Son où il sympathise avec un professeur vietnamien qui appartient secrètement au Vietmninh. Bientôt Clavier déserte et se rallie au Vietminh. Accusé de trahison il est condamné à mort par contumace. Albert Clavier, qui est décédé en 2011, a publié ses souvenirs en 2008 chez l'éditeur Les Indes savantes sous le titre De L'Indochine coloniale au Vietnam libre. Je ne regrette rien.


Sur prés de 183 pages, Maximilien Le Roy retrace en image ce parcours particulier. Une fois rallié, Albert Clavier devient commandant dans l'armée populaire vietnamienne puis journaliste. Il est finalement amnistié en 1966. Mais dès 1963, déçu par la politique que les autorités mènent au Vietnam du Nord, il rejoint Budapest où il travaille à la Fédération mondiale de la jeunesse. Il ne retrouve la France qu'au début des années 1970.


Le dessin adopté par Maximilien Le Roy, de style moderne, largement dépouillé, peut rebuter un lecteur non averti. Mais il nous semble que cette simplicité de style met particulièrement en valeur un récit d'une rare intensité. Voici donc une bande-dessinée qui est à la fois un témoignage et un document historique de valeur. Le livre contient d'ailleurs un texte d'Alain Ruscio spécialiste des relations entre le communisme français et le Vietnam qui permet de replacer le récit d'Albert Clavier dans son contexte. Un livre à offrir ou a se faire offrir en cette fin d'année.

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communismeetconflits - dans Communisme vietnamien et guerre du Viet-Nam
21 décembre 2012 5 21 /12 /décembre /2012 09:10

Paco Ignacio Taibo II, Archanges. 12 histoires de révolutionnaires sans révolution possible, Métailié, Paris, 2012.

 

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Où classer le livre de Paco Ignacio Taibo II ? Ceux qui se piquent de littérature savent que ce dernier est un des plus grands romanciers mexicains contemporains. Mais Paco Ignacio Taibo II ne se cantonne pas au seul roman. Il est ainsi l'auteur de deux solides biographies, l'une de Che Guevara et la plus récente de Pancho Villa. Avec Archanges, il se place délibérément à la frontière entre les deux genres.


A travers la vie de douze militants révolutionnaires il essaye de restituer les luttes sociales, les grèves insurrectionnelles et les révolutions manquées du XX°siècle. Mais Paco Ignacio Taibo II ne s’intéresse pas aux vainqueurs, tels Lénine ou Mao, mais plutôt aux vaincus de l'Histoire ceux qui sont engloutis par les évènements puis disparaissent des mémoires et des monographies. Et c'est tout ce qui fait l’intérêt de ce livre : il raconte des destins méconnus voire inconnus.


La plupart des héros que campe Paco Ignacio Taibo II, nous les avons déjà aperçu dans certains ouvrages où leurs noms n'apparaissent qu'au détour d'une page voire d'une note. Ainsi de Larrisa Reisner, combattante dans la guerre civile russe, puis agent secret soviétique en Afghanistan. Elle part ensuite en Allemagne assisté aux échecs des insurrections communistes dont celle de Hambourg en 1923 sur laquelle elle livre un témoignage. Désabusée et encline à la dissidence face à l'évolution de l'URSS, elle meurt en 1926, à 34 ans dans un hopital de Moscou. Adolf Ioffe, premier ambassadeur des Soviet dans l'Allemagne de Guillaume II est un vieux bolchevik qui se suicide en 1927 pour dénoncer l'exclusion du comité central de Trotski. Il retrace le destin de Max Holz, révolutionnaire allemand qui après 1918 mène la lutte armée contre les autorités. Condamné, emprisonné, puis amnistié en 1927, il rejoint l'Union soviétique pour disparaître de manière « accidentelle » en 1933. Les socialistes sont représentés dans la galerie de Paco Ignacio Taibo II en la personne de Friedrich Adler, fils du leader social-démocrate Victor Adler. Encore adolescent, Friedrich assassine en 1916 un ministre pour pousser l'empereur François-Joseph à cesser la guerre.


Le Mexique n'est pas oublié dans la personne de l'anarchiste Sebastian San Vicente, des peintres Diego Rivera et David Siqueiros, du syndicaliste et maire d'Acapulco Juan Escudero, de l’agitateur Librado Rivera à Tampico. Ils dressent à travers eux un portrait du Mexique révolutionnaire de l'après 1918. C'est aussi le Mexique qui sert de décor à un épisode de la vie du célèbre anarchiste espagnol Buenaventura Durruti que raconte Paco Ignacio Taibo II.


Paco Ignacio Taibo II fait aussi le tour du monde. Un épisode se place dans l'Espagne de la guerre civile au moment de la bataille de Guadalajara en 1937 quand un volontaire italien des Brigades internationales se sert d'un modeste haut-parleur pour démoraliser les soldats fascistes italiens qui lui font face. Puis le lecteur part vers la Chine des années 1920 quand Peng Pai, jeune communiste organise les revendications des ouvriers agricoles. Quand en 1927, le Kuomintang rompt son alliance avec les communistes, Peng Pai est poursuivi. Arrêté, torturé il est assassiné en 1929. Plus original encore car bien moins connu le destin de Raul Diaz Arguelles, un Cubain, combattant de la guerilla avec Castro qui, devenu colonel, part en Angola en 1975 pour soutenir le mouvement révolutionnaire. Il meurt quand son char saute sur une mine.


Paco Ignacio Taibo II allie la verve du conteur au don du romancier pour redonner vie à des personnages et des situations, le tout s'appuyant sur une documentation historique ample. Il nous livre ainsi, à travers un foisonnement de destins singuliers, une histoire du mouvement révolutionnaire qui parfois se confond avec un roman d'aventures. Remercions Paco Ignacio Taibo II de nous faire découvrir ces semi-anonymes qui sont la chair même de l'Histoire.

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communismeetconflits - dans Divers
20 décembre 2012 4 20 /12 /décembre /2012 09:12

Karl Laske, La mémoire du plomb, Stock, Paris, 2012.

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Karl Laske, journaliste à Médiapart, nous livre ici une enquête fouillée sur le destin de Cesare Battisti, ancien activiste d'extrême-gauche italien qui nous entraine successivement de l'Italie des années 1970 à la France mitterrandienne.


Tout commence donc dans le pays natal de Battisti, cette Italie des années de plomb où le jeune homme découvre tout à la fois la politique, le marxisme et l'activisme. Battisti est d'abord un petit délinquant qui vit de vols et connait régulièrement la prison. C'est là dans les geôles qu'il se familiarise avec des militants gauchistes qui l'influencent fortement. De nouveau libéré en 1976, il entre dans la clandestinité pour militer au sein d'un groupuscule, les Prolétaires armés pour le communisme. Au sein de cette organisation peu structurée son expérience de délinquant est un atout au moment où le groupe se lance dans la lutte armée. Et sur ce point les Prolétaires armés se montrent plus redoutables que les célèbres Brigades rouges.


Le groupe se lance dans des attaques à main armée pour financer la clandestinité, mais, plus terrible, il revendique quatre assassinats : celui d'un bijoutier, d'un gardien de prison, d'un boucher, d'un policier. Et puis il y a la pratique de la « jambisation », c'est à dire le fait de tirer des coups de feu dans les jambes des cibles, une sorte de punition en-deça de l’exécution mortelle. Une folie terroriste difficilement justifiable qui court au long des années d'activité des Prolétaires armés, c'est à dire 1978-1979.


Battisti est arrêté en 1979 puis condamné en 1981 pour appartenance à une organisation terroriste. Mais en octobre 1981 ce qui reste des Prolétaires armés organise son évasion. Battisti parvient alors à rejoindre le Mexique puis trouve refuge en France en 1985 où la gauche est depuis mai 1981 au pouvoir. François Mitterrand s'est alors engagé à ne pas extrader les anciens activistes gauchistes italiens ayant renoncé à la violence à l'exception de ceux poursuivis pour assassinat. Battisiti, qui est condamné par contumace par la justice italienne pour quatre assassinats, ne remplit pas cette dernière condition. Et les autorités françaises le savent puisque, comme le révèle le livre, Robert Badinter, Garde des Sceaux, exclut, dans une note d'avril 1983, Battisti du bénéfice de la doctrine Mitterrand. Pourtant l'ancien activiste va malgré tout profiter du droit d'asile pendant prés de vingt ans.


Battisti ne fait ensuite plus parler de lui qu'en tant qu'auteur de romans policiers. Le scandale n'éclate qu'en février 2004 avec son arrestation en vue de son extradition vers l'Italie. Alors, au nom de la parole donnée par Mitterrand, des intellectuels, des artistes mais également des personnalités politiques de gauche se mobilisent pour empêcher l'extradition. Français Hollande lui même rend visite à Battisti la prison de la Santé et demande que soit respectée la jurisprudence Mitterrand alors qu'il en a toujours été exclu.


Karl Laske établit tout à la fois et de manière argumentée la culpabilité de Battisti concernant les actes lui ayant valu une condamnation à perpétuité mais aussi la supercherie qui a consisté à lui appliquer la jurisprudence Mitterrand alors qu'il en a été nominalement exclu. L'aveuglement de la gauche française sur ce, cas est d'autant plus stupéfiant que pour la gauche italienne le cas Battisti n'en est pas un. Même l'extrême-gauche italienne reconnaît sa culpabilité. Faut-il souligner au passage que l'Italie est un pays qui n'est pas moins démocratique que la France et où la justice n'a guère à recevoir de leçon de sa consœur française.


Les faits que révèle le livre parlent d'eux-même et érode sérieusement le mythe du héros révolutionnaire romantique à laquelle succombe encore une partie de la gauche française. Ajoutons qu'à la différence de nombreux anciens terroristes gauchistes, Battisti n'a jamais effectué un véritable examen de conscience en se repentant ou en se dissociant de la lutte armée. Cet ancien « révolutionnaire » égaré a profité en mars 2004 d'une décision de libération provisoire pour quitter clandestinement la France et se réfugier au Brésil où le président Lula lui a accordé l'asile politique en 2011.

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communismeetconflits - dans Communisme italien
19 décembre 2012 3 19 /12 /décembre /2012 08:55

Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Liquidez les traitres. La face cachée du PCF, 1941-1943, Robert Laffont, Paris, 2007.

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Dans cet opus, Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre poursuivent leur entreprise de démolition des légendes et vérités officielles entourant le rôle du PCF dans la Résistance. Après s’être intéressé aux Bataillons de la Jeunesse, ils se penchent en effet ici sur le détachement Valmy, une formation de lutte armée dirigée par la commission des cadres du PCF.


Cette commission est née en 1932 dans le but de repérer les militants prometteurs afin de les former et de les promouvoir au sein de l'appareil. Avec les purges staliniennes en URSS, elle se voit également confier la mission de démasquer les opposants et les dissidents au sein du PC afin de les exclure. Dans le contexte de la guerre, la commission des cadres voit son rôle d'accroitre puisqu'elle est alors chargée de régler le sort des traitres au Parti. Pour cela elle se dote d'un instrument d'exécution, le détachement Valmy.


Les premières cibles de ce groupe ce sont les anciens dirigeants communistes passés à la collaboration avec les Allemands et dont la figure emblématique est Marcel Gitton, numéro 3 de la direction en 1939 avant de rompre au moment du pacte germano-soviétique. Gitton est abattu le 5 septembre 1941. Le détachement s'en prend ensuite aux résistants communistes accusés d'avoir parlé après leur arrestation puis à partir de l'été 1942 aux Allemands eux-mêmes. Les auteurs décrivent avec beaucoup de détail le quotidien des hommes de ce groupe et avant tout cette traque menée contre les traitres d'où les « bavures » ne sont d'ailleurs pas absentes. Face aux hommes du détachement Valmy, la police de Vichy mit en branle les Brigades spéciales des Renseignements généraux dont les compétences parvinrent à démanteler le détachement en 1943.


Le livre est particulièrement bien écrit, avec un style proche de celui du polar, qui le rend agréable à lire et particulièrement attractif pour le non-spécialiste. De plus, il s’appuie sur une masse documentaire et archivistique dense et parfaitement maitrisée. Les chapitres sur le travail policier sont d'ailleurs particulièrement réussis et convaincants.


Mais hélas ce bel ensemble est entaché par l'orientation anticommuniste évidente des deux historiens qui par certains aspects font ressembler l'ouvrage à un livre de combat plutôt qu'à une étude sérieuse sur la Résistance. L'ouvrage commence ainsi par la relation de l’exécution d'une jeune femme accusée à tort d'avoir trahi. Il s'agit là pour les auteurs rien moins que d'un assassinat avalisé par la direction communiste représentée en France par Jacques Duclos. Le caractère criminel du communisme, déjà au cœur du Livre noir du communisme, est donc affirmé d'emblée et l'action du détachement Valmy, qualifié de "police" ou "Guépéou" du PC, disqualifiée en tant qu'organisation criminelle, une sorte de Gestapo rouge française.


Pourtant les auteurs montrent dans le même temps que les hommes du Valmy ne se sentent pas l’âme de tchékistes. Ils contestent les consignes qui leur sont données d'exécuter un certain nombre de collabos, non pour des raisons morales, mais pour des soucis d'efficacité. Ils ne semblent d'ailleurs mettre aucun enthousiasme particulier à leur besogne de liquidateurs et expriment surtout le désir de combattre les Allemands.


La violence terroriste que déploie le PCF durant l’Occupation n'est donc jamais resitué dans le contexte de la lutte armée contre la Wehrmacht. Cette hostilité au communisme s'appuie sur une méthode historique particulière : le rejet des témoignages. Ces derniers sont considérés par les deux auteurs comme vicié par la malhonnêteté intellectuelle ou l’intérêt politique bien compris dans le but de créer une histoire officielle, et fausse, de la Résistance communiste. Les choses sont pourtant plus complexes et un témoignage, comme toute source, doit être soumis à la critique historique et confrontée à d'autres sources.


Si une conclusion peut être tirée de ce livre c'est celle de l’inefficacité relative des attentats communistes. A aucun moment les communistes français n'ont sérieusement menacé la domination allemande en France contrairement à ce qui s'est passés au même moment en Grèce ou en Yougoslavie. Le fait de privilégier la lutte terroriste urbaine plutôt que la guerre de partisans en milieu rural est peut être un facteur d'explication de cet échec. Mais cela n'est pas le propos du livre de Jean-Marc Berlière et Frank Liaigre qui reste malgré tout ces défauts, incontournable pour appréhender la lutte armée communiste en France sous l'Occupation.

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communismeetconflits - dans Communisme français
18 décembre 2012 2 18 /12 /décembre /2012 09:00

Emmanuel Lemieux, Tony 1942. Un procès oublié sous l'Occupation, Bourin éditeur, Paris, 2012.

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C'est par le biais d'un destin singulier qu'Emmanuel Lemieux s'attache à décrire les débuts de la lutte armée communiste dans la région parisienne à la fin de 1941. Il est vrai que le combattant auquel il s'interesse à un profil atypique. Tony Bloncourt est né en 1921 à Port-au-Prince : fils d’un grand blessé de guerre, sa famille s’est installée en Haïti dans l’immédiat après guerre. Il ne vient en métropole en 1938, au lycée Rollin devenu depuis Jacques Decour, que pour terminer ses études. Là, dans ces temps de Front populaire finissant et dans les débuts de cette drôle de guerre, Tony Bloncourt, issu d'une famille marquée à gauche, son oncle est alors député de l'Aisne, commence à militer aux Jeunesses communistes du XIe arrondissement parisien. Avec ses camarades il participe ainsi à la manifestation du 11 novembre 1940 sur les Champs-Élysées. C'est là la première action d'éclat d'une résistance qui se cherche encore.

 

Les choses changent de degré et d'intensité après l'invasion de l'URSS par l'Allemagne, le 21 juin 1941. L'heure est désormais pour les communistes de la lutte armée. Le 21 août, Pierre Georges, le futur colonel Fabien, abat un officier allemand dans le métro. En représailles les Allemands font fusiller 27 otages à Chateaubriand dont Guy Mocquet et Claude Lalet, tous deux lycéens et amis de Bloncourt. Ce dernier est alors engagé dans les actions des Bataillons de la Jeunesse, ces groupes armées qui ne rassemblent qu'une poignée de très jeunes gens.

 

Inexpérimentés et isolés, ces jeunes combattants sont rapidement repérés et arrêtés par la police. Tony Bloncourt sera le dernier de la bande à être capturé, le 5 janvier 1942, tôt le matin, près de la rue Gay-Lussac. Contrairement à certains de ses camarades, il n'a pas tué. Au moment de tirer sur un officier allemand qu'il était chargé d'abattre il n'ira pas jusqu'au bout. Tony Bloncourt est jugé par un tribunal militaire allemand en mars 1942 qui siège dans l'enceinte du Palais-Bourbon. Condamné à mort, il est fusillé au Mont-Valérien le 9 mars.

 

A côté du destin tragique de Tony Bloncourt, Emmanuel Lemieux retrace aussi celui de Jean Mamy. Ancien acteur et régisseur, ce dernier devient dans les années 1930, réalisateur de cinéma. Quel est le lien avec Tony Bloncourt ? Mamy, peu de temps après le jugement de Bloncourt, se retrouve à l'endroit où s'est tenu le procès pour tourner un film, Forces occultes, dont le thème principal est la dénonciation de la franc-maçonnerie. Et Mamy va aller plus loin dans son engagement collaborateur et pro-nazi, sous le nom de Paul Riche, en s'engageant dans le Cercle Aryen et en écrivant des articles antisémites dans la presse collaborationniste. Il ne s’arrête pas là, frayant avec les gestapistes français, assistant à des séances de torture et des exécutions avant d'infiltrer des réseaux de résistance pour mieux ensuite les dénoncer. A la Libération, Mamy est arrêté puis jugé. Il sera en 1949 le dernier fusillé de l’Épuration.

 

Dernier destin dont traite Lemieux, celui de Georges Veber, commissaire principal à la Préfecture de police. C'est lui qui dirige la Brigade spéciale qui fera la chasse à Bloncourt et ses camarades. Veber sera, de manière très éphémère, arrêté à la Libération avant de reprendre du service et de recevoir la Légion d'Honneur en 1963.

 

Le livre de'EmmanuelLemieux est bien écrit et donc agréable à lire. Pourtant il ne peut que décevoir ceux qui s’intéressent plus particulièrement à l'origine et au développement de la lutte armée communiste dans la région parisienne. Sur ce sujet, comme sur celui du fonctionnement du PCF et de la politique communiste en 1939-1941, il ne fait que reprendre les nombreux ouvrages parus récemment notamment ceux de Frank Liaigre et Jean-Marc Berlière (Le Sang des communistes). Le lecteur averti ressent alors une impression de déjà-vu, tout en pouvant relever ici et là quelques petites erreurs factuelles.

 

Pourtant quand il décrit le développement et l'organisation de la lutte armée, Emmanuel Lemieux est plus convaincant et surtout plus subtil en montrant les enjeux que cache le passage à l'action terroriste. Il décrit aussi de manière fine le travail policier qui permet la chute de Bloncourt et de ses amis montrant l’inexpérience de ces jeunes communistes.Tony, qui est passé au travers des arrestations, est ainsi pris lors d’un banal contrôle d’identité. Trop nerveux, il a essayé de s'enfuir pour échapper au contrôle.

 

Si le livre d'Emmanuel Lemieux ne peut remplacer les ouvrages d'historiens cités plus haut pour notre connaissance des débuts de la lutte armée, il retrace avec une certaine émotion le parcours de très jeunes gens qui acceptèrent de donner leur vie pour un idéal. Il montre également comment ce sacrifice fut occulté après la guerre ou instrumentalisé. Il faut attendre l'an 2000 pour qu'à l'initiative de Laurent Fabius, alors président de l'Assemblée nationale, un historien, Éric Alary, étudie le procès du Palais-Bourbon et qu'une plaque ne soit apposée à l'endroit où les sept combattants des Bataillons de la Jeunesse furent en 1942 condamnés à mort.

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communismeetconflits - dans Communisme français
17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 09:09

David E. Murphy, Ce que savait Staline : l'énigme de l'opération Barberousse, Stock, Paris, 2006.

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Voici un livre dont le sujet n'est pas nouveau puisqu'il s'interroge sur le niveau de connaissance des intentions d'Hitler par Staline à la veille de l'invasion de l'Union soviétique par l'Allemagne nazie. Sur cette question, objet de nombreux commentaires, la vulgate traditionnelle insiste sur le fait que Staline a fait jusqu'au bout confiance à Hitler et qu'il a ainsi écarté délibérément toutes les renseignements mettant en cause cette confiance. Sur ce point le livre de l'ancien chef des opérations de la CIA vers l'URSS, David E. Murphy, qui s'appuie sur des archives soviétiques, n'est pas une révolution. Il explique ainsi longuement que de la défense aérienne à la direction des transports, tous les services de l’État soviétique répétaient la même chose: les Allemands vont attaquer l'URSS et tous donnaient à peu près la même date.


L’antenne du GRU, les renseignements militaires, à Berlin, était assez prolifique sur le sujet, vu qu’elle disposait d’un agent double au ministère allemand des affaires étrangères sous nom de code Ariets, qui signala dès le 29 septembre 1940, qu’Hitler avait l’intention d’attaquer l’URSS. Ariets récidiva en décembre 1940, informant les Soviétiques que les Allemands s’apprêtaient à attaquer l’URSS au printemps 1941. Sur les injonctions de Filip Golikov, chef du GRU, Ariets, le 28 février 1941, alla même jusqu’à donner l’ordre de bataille allemand pour l’opération Barbarossa.


Le livre fourmille ainsi de faits et anecdotes qui, rassemblés et avec le recul de l’histoire, montrent combien les préparatifs de l’invasion allemande étaient connue des Soviétiques puisque les détails donnés proviennent souvent de leurs rapports de renseignements, issus de multiples sources. Richard Sorge fut donc loin d’être le seul à prévenir Staline du danger. Britanniques et Américains mirent aussi au courant les Soviétiques des projets allemands.


Le livre de Murphy apporte donc en fait peu de révélations concernant les renseignements à la disposition de Staline mais il souligne que ces derniers sont le plus souvent aseptisés, corrigés et même dissimulés par les principaux responsables du renseignement soviétique que ce soit Béria, le chef du NKVD, ou Golikov le parton du renseignement militaire, le GRU. Le motif de ce comportement n'est autre que la flagornerie qui régnait alors dans l’entourage du dictateur et la crainte de le mécontenter. Devant la multiplication des informations sur l’imminence de l’invasion, venant de sources très variées, Staline s’est donc entêté à ne pas voir la vérité en face.


Mais David Murphy, s'appuyant sur les archives du Bureau Ribbentrop nous donne, peut-être, une nouvelle et inédite raison de cette incroyable cécité stalinienne. En effet, les Allemands disposaient d’un agent double, Orest Berlinks, un letton, qui depuis août 1940, avait été infiltré dans l’entourage d’Amiak Koboulov, agent du NKVD et, surtout, frère de Bogdan Koboulov, l’un des lieutenants les plus proches de Beria. Berlinks aurait alors intoxiqué Amiak Koboulov et par ricochet le clan Beria et Staline sur l’improbabilité d’une attaque allemande. Murphy souligne, que les Soviétiques, ne découvrirent l’existence de ce Berlinks, qu’en 1947. Peut être est-ce là l'explication d'un des grands mystères du second conflit mondial.


Plus surprenant encore, Murphy nous apprend l'existence d'une correspondance directe entre Staline et Hitler et montre que ce dernier joua également, avec une habileté remarquable, avec les tendances paranoïaques du dictateur soviétique pour mieux l'intoxiquer.


En définitive Murphy démontre que le seul responsable du désastre qui suivit le déclenchement de l'opération Barbarossa n'est autre que Staline, qui après avoir décapité l'Armée rouge fit trop souvent confiance à Hitler. Mais il ne s’arrêta pas là et pendant que la Wehrmacht déferlait sur l'URSS il a fait arrêter et exécuter de nombreux officiers sous l'accusation d'avoir trafiqué les rapports de renseignements concernant les préparatifs allemands contre l'Union soviétique.


Si le lecteur peut regretter certaines longueurs et répétitions, l'ouvrage de Murphy est incontournable, par la masse de renseignements qu'il donne, sur les débuts de la guerre à l'Est même si le livre de Gabriel Gorodestsky, Le Grand Jeu de Dupes, reste irremplaçable sur le sujet.

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communismeetconflits - dans Union soviétique et Russie
15 décembre 2012 6 15 /12 /décembre /2012 12:50

Anne Steiner, Les en-dehors. Anarchistes individualistes et illégalistes à la Belle Époque, L'Echappée, Paris, 2008.

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Anne Steiner trace ici le portrait d'une partie du mouvement anarchiste parisien au début du XX° siècle qui connait une période d'intense développement où naissent de nouveaux journaux ainsi que de nouvelles problématiques comme le végétarisme ou l'éducation populaire. Le fil rouge de l'ouvrage qui permet de faire le lien entre les différentes personnalités de ce mouvement est Rirette Maitrejean, une jeune Correziénne qui fuit son milieu familial pour découvrir Paris où elle découvre la Sorbonne et les causeries anarchistes. Elle y découvre l'amour libre qu'elle met en pratique épousant un certain Louis Maitrejean mais vivant avec un étudiant, Mauricius, qui écrit dans le journal l'anarchie, puis avec le jeune Victor Kibaltchiche, le futur Victor Serge.


Parmi les figures marquantes que l'on croise dans ce livre émerge celle de Libertad, enfant trouvé et handicapé, aux dons oratoires exceptionnels qu'il met au service d'un anarchisme individualiste intransigeant. L'anarchisme individualiste vise d'abord à libérer les individus de toutes les contraintes qui les entourent et cela sans attendre un hypothétique Grand Soir. La libération individuelle est pour eux un préalable à l'émancipation collective.


Ses adeptes pratiquent ainsi le nudisme, prônent une hygiène alimentaire excluant la consommation de tabac, viande, alcool, café, pratiquent l'amour libre, le contrôle des naissances et sont favorables à la contraception et à l'avortement. Partisans de l'éducation populaire, certains militent en faveur de l'espéranto. Ils expérimentent ces pratiques au sein de communautés, les « milieux libres » où chacun va et vient selon ses désirs. Au plan politique, ils sont libres-penseurs mais rejettent autant l'école confessionnelle que l'école laïque qui distille un catéchisme républicain. Pacifistes, ils refusent le service militaire et prônent la désertion. Refusant la démocratie parlementaire, ils soutiennent l'abstentionnisme. Par bien des aspects, ces individualistes préfigurent le mouvement soixante-huitard par ses préoccupations et ses réalisations


La libération de l'individu doit aussi passer par la libération des contraintes du salariat. Mais cette question pose le délicat problème des conditions d'existence des individualistes. Comment vivre sans gagner de l'argent ? Si réduire ses besoins ne suffit certains compagnons se livrent à la fabrication de fausses monnaies et aux cambriolages. Cet illégalisme que certains théorisent pose rapidement la question du passage au banditisme et à la violence meurtrière.


La figure de Jules Bonnot et de sa bande représente la face sombre de l'anarchisme individualiste. Bonnot est déjà un délinquant et un meurtrier quand il rencontre les individualistes de la communauté de Romainville où vit d'ailleurs Raymond Callemin dit Raymond la Science, un ami d'enfance de Victor Serge. Avec d'autres individualistes ils sèment la terreur au début de 1912 avant d’être abattue le 28 avril à Choisy-le-Roi après avoir soutenu un siège de plusieurs heures contre la police et l'armée.


La tragique épopée de la bande à Bonnot sonne le glas de l'anarchisme individualiste. Rirette Maitrejean et Victor Serge sont ainsi inculpés et jugés pour complicité avec les bandits. Victor Serge est même lourdement condamné. La guerre de 1914 achève de disloquer un univers déjà fortement éreinté. Après 1917, Victor Serge rejoint la Russie bolchevique pour se mettre au service de Lénine avant de rentrer en dissidence sous Staline.


Le livre d'Anne Steiner est bien construit et d'une lecture agréable. Nous pouvons seulement regretter la place trop grande accordée à notre goût à la figure de Bonnot, dont on voit mal les liens avec l'anarchisme si ce n'est comme alibi à ces forfaits. Si l'aventure des bandits tragiques pose la lancinante question du rapport de l'extrême-gauche à la violence criminelle, telle qu'elle sera à nouveau posée concernant les groupes gauchistes des années 1970, elle ne peut occulter que les individualistes de la Belle Époque furent sur de nombreuses questions des précurseurs dont les aspirations anticipent celles que portent le mouvement de 1968 mais également de plus contemporaines notamment sur les modes de consommation.

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communismeetconflits - dans Notes de lecture

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GuideICSerge Wolikow, Alexandre Courban, David François, Christian Oppetit, Guide des archives de l'Internationale communiste, 1919-1943, Archives nationales-MSH Dijon, Paris-Dijon, 2009. 

9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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