Anthony Read, The World on Fire. 1919 and the Battle with Bolshevism, Norton and Company, 2008.
Novembre 1918 est certainement le moment où les conséquences de la Révolution russe de 1917 se font pleinement sentir en Europe. Alors que des millions d'hommes sont morts sur les champs de bataille, dans les quatre pays vaincus (Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire ottoman, Bulgarie) les anciennes élites sont chassées. Si chez les Alliés le sentiment de soulagement prévaut parmi les dirigeants s'installe alors l'idée qu'à l'adversaire allemand vaincu s'en substitue un nouveau, le bolchevisme.
Les Alliés font d'ailleurs un emploi très extensif du terme bolchevik dans lequel ils ont tendance à englober l'ensemble des menaces qui planent sur l'ordre social. Il n'est donc pas étonnant que pour de nombreux militaires, britanniques en particulier, il recouvre également aussi bien le terrorisme irlandais que les manifestations d'opposition à la domination britannique en Inde. Pour les autorités britanniques la simple remise en cause de l'Empire ne peut alors être que le fruit des intrigues bolcheviques. La même appréhension touche la France où le bolchevisme est d'abord vue comme une nouvelle arme de l'Allemagne.
Il semble que ce soit cette méconnaissance, mais aussi le manque d'organisation du bolchevisme, qui le rende alors si effrayant. En effet, après 1945 la situation sera différente puisqu'alors Staline est considéré comme un politicien ordinaire qui respecte le partage de l'Europe réalisé avec Churchill et qui tient assez solidement les partis communistes afin d'éviter les flambées révolutionnaires. En 1918, les choses sont bien différentes. Les bolcheviks ne contrôlent alors que partiellement une Russie en proie à la guerre civile tandis que ceux qui, dans le monde, se prétendent communistes connaissent mal la pensée léniniste et font preuve d'un extrémisme que Lénine dénoncera comme gauchiste.
La difficulté à définir cette nouveauté internationale qu'est le bolchevisme explique en partie que pour ses adversaires toute émeute, mutinerie ou grève ne puissent être que le fruit de son action destructrice. En réaction naissent d'ailleurs des organisations qui se donnent pour tache de le combattre que ce soit le mouvement fasciste en Italie, les corps-francs en Allemagne ou le Klu Klux Klan qui renait dans le sud des États-Unis.
L'année 1919 apparaît bien comme une année de profonds troubles où le monde semble hésiter quand à son avenir à l'instar de ce que fut l'année 1789. Si Lénine veut clairement qu'advienne la Révolution mondiale, et le Komintern est fondé dans ce sens en mars 1919, les Alliés interviennent quand à eux directement en Russie pour combattre les Rouges. Mais sans vision stratégique cohérente, ni la possibilité d'accroitre leur effort militaire, sous peine de mutineries, cette intervention est vouée à l'échec.
Si l'Allemagne est la proie de la guerre civile et semble alors sur le point de basculer du coté bolchevik, Read montre également que les États vainqueurs ressentent plus gravement que l'on n'a pu le penser les contrecoups de la vague révolutionnaire. En Grande-Bretagne, outre les grèves, les soldats sont proches de la mutinerie et Read dévoile que la hiérarchie militaire est alors proche de perdre le contrôle des troupes. Les États-Unis connaissent quand à eux le Red Scare, la peur du rouge qui n'a rien à envier au maccarthysme des années 1950 puisqu’elle se traduit par le développement des émeutes raciales et la montée de la xénophobie.
Anthony Read conte de manière précise l'ensemble des événements qui secouent ainsi l'Europe et l'Amérique en 1919. Il maitrise assez sa documentation pour que sa recension de faits se déroulant en différents points de la planète donne un effet cumulatif convaincant. Mais le lecteur peut regretter que le parti pris de ne considérer que l'année 1919, s'il permet de montrer l’intensité de la peur anticommuniste qui s'empare alors d'une partie de l'opinion mondiale, empêche néanmoins de comprendre à long terme les conséquences de la Révolution russe. La disproportion de traitement entre le monde anglo-saxon, principalement la Grande-Bretagne et les États-Unis et le reste du monde est également décevante. Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence, pour la déplorer, la comparaison, qu'affectionne l'auteur entre le bolchevisme et l'islamisme terroriste du début de ce siècle. D'autant que ce raccourci, sorte de tarte à la crème néo-conservatrice ne repose, là encore, sur aucune démonstration sérieuse.