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26 mai 2017 5 26 /05 /mai /2017 07:00

Le 11 septembre 1973, un coup d’État militaire renverse le président légitime du Chili, le socialiste Salvador Allende qui, ne voulant pas céder son pouvoir aux putschistes, préfère se suicider dans le palais de la Moneda. Une dictature militaire, dirigée par le général Augusto Pinochet, se met en place et entame une féroce répression contre les forces de gauche. Fort du soutien de l’armée, des classes dirigeantes et des agences de renseignements américaines, elle leur porte des coups sévères. Dès le coup d’État, la presque totalité des militants du MIR, le Mouvement de la gauche révolutionnaire, sont soit arrêtés, soit exécutés. Le PC chilien est également violemment réprimé. Selon les historiens, lors des premiers mois de la dictature, c’est environ 30 000 personnes qui sont tuées. La victime la plus célèbre reste le chanteur Victor Jara, brutalement assassiné dans le stade de Santiago transformé en camp de concentration. La terreur instaurée par la Junte stupéfie la gauche chilienne qui ne parvient pas à se mobiliser pour organiser la résistance.

Quelques militants de gauche parviennent néanmoins à se cacher ou à fuir le pays et commencent à réfléchir sur les moyens d’organiser la lutte anti-Pinochet. Dans l’impossibilité de mener une lutte politique pacifique, la question de l’adoption de la tactique de la guerre de guérilla se pose à eux rapidement.

La répression au Chili

La répression au Chili

Les communistes chiliens et la lutte armée.

À la suite du coup d’État de l’armée, d’âpres débats secouent le PC chilien où certains critiquent l’absence d’une politique militaire efficace du Parti avant le 11 septembre. Rapidement, les dirigeants du PC entament une révision de la ligne politique où la lutte armée devient une option légitime contre le régime de Pinochet. Dès 1974, apparaît également l’idée de se doter d’une organisation militaire, un bras armé du Parti. Mais il faut attendre une dizaine d’années avant que cette idée ne se concrétise. Ce délai s’explique d’abord par l’absence au Chili, contrairement à de nombreux autres pays d’Amérique latine, d’une tradition de guérillas. La géographie du pays, une large bande de terres étroites entre les Andes et le Pacifique dominée par de hauts plateaux, n’a jamais été propice à cette stratégie. L’absence d’une culture de la guérilla au sein de la gauche chilienne nécessite donc que les militants soient formés à ce type de guerre s’ils veulent remporter quelques succès.

De nombreux communistes chiliens ont trouvé refuge à Cuba où ils reçoivent un logement et un emploi mais où les autorités ne se lassent pas de leur répéter qu’ils doivent mener une lutte armée contre le régime de Pinochet plutôt que de rester en exil. Les Cubains n’hésitent pas non plus à accuser socialistes et communistes d’avoir été incapable d’organiser correctement la défense du gouvernement d’Allende. Alors que la direction du PC chilien envisage d’engager la lutte armée, en juillet 1974, Fidel Castro propose aux dirigeants communistes Volodia Teitelboim et Rodrigo Rojas Castro de donner une formation militaire à des militants des Jeunesses communistes, proposition qui est acceptée. Les militants choisis reçoivent alors une éducation militaire complète au sein de l’École militaire Camilo Cienfuegos et deviennent officiers au sein des Forces armées révolutionnaires cubaines. Cette formation dure une année et se déroule aussi bien dans des unités d’infanterie que d’artillerie tandis que certains se spécialisent dans la marine ou l’aviation. Quelques militants sont également envoyés en RDA et en Bulgarie pour y recevoir une instruction militaire. Les diplômés des écoles bulgares formeront plus tard la base des unités de guérilla les plus efficaces. Ainsi, sous l’égide de Castro, se développe peu à peu une véritable petite armée rouge chilienne.

À l’issue de ces différentes formations, les Cubains pensent néanmoins que les communistes chiliens n’ont pas encore la capacité d’affronter l’armée de Pinochet. Par conséquent, ils préfèrent les envoyer sur d’autres terrains de combat afin de les aguerrir. Beaucoup prennent alors la direction du Nicaragua afin de lutter aux côtés des sandinistes. Ils y sont d’un grand soutien dans le combat contre la dictature de Somoza en raison de leurs formations militaires et servent comme mitrailleurs, artilleurs anti-aériens ou comme commandants dans l’infanterie. À ce titre, ils participent à la plupart des batailles que livrent les sandinistes, notamment la prise de Managua. Après la victoire de 1979, ils sont nombreux à rester au Nicaragua pour servir au sein des forces armées de ce pays.

En septembre 1980, le secrétaire général du PC chilien, Luis Corvalan, déclare ouvertement que l’emploi de la lutte armée est légitime pour abattre le régime militaire et théorise la ligne du Parti sous le nom de politique de rébellion populaire de masse. À ce moment-là, la gauche radicale, notamment le MIR, s’est depuis longtemps lancé dans cette voie en organisant des attaques périodiques sur l’ensemble du territoire chilien. Rien qu’en 1975, près de 130 opérations de guérilla sont recensées, notamment contre des casernes et des dépôts militaires dans le but de s’emparer des armes qui s’y trouvent. Les bases de cette guérilla sont pour beaucoup installées dans les montagnes de l’Argentine voisine. Mais en 1976, à la suite du coup d’État à Buenos-Aires, elles sont détruites par des raids de l’aviation militaire argentine. Le MIR poursuit néanmoins ses actions de guérilla jusqu’à la fin des années 1980.

C’est durant l’année 1983 que le PC chilien organise son appareil militaire qui est baptisé Front patriotique Manuel Rodriguez (FPMR) en l’honneur d’un héros de la lutte pour l’indépendance contre les Espagnols. Guillermo Teillier, chef de la commission militaire du PC est chargé de superviser les actions de cette nouvelle organisation. Dès l’été, cinq commandants rentrent clandestinement au Chili afin de commencer l’organisation de la guérilla et d’en prendre la direction. La fourniture d’armes et d’argent est assurée par les services de renseignements cubains tandis que le noyau des structures de commandement sur le terrain est confié à des militants ayant reçu une formation militaire à Cuba et en Bulgarie ou s’étant battu aux côtés des Sandinistes, autrement dit ce sont des combattants expérimentés. Parmi eux se distingue Raul Pellegrin, sous-lieutenant dans l’armée cubaine et vétéran du Nicaragua, qui retourne clandestinement dans son pays natal en 1983 pour devenir le principal dirigeant du FPMR sous le nom de guerre de commandant José Miguel.

La lutte armée communiste contre Pinochet : le FPMR

Le FPMR en action

La première action du FPMR au Chili a lieu le 14 décembre 1983 avec le sabotage de la centrale électrique de Curico, privant d’électricité le centre du pays. Les modes d’action du FPMR sont ceux de la guérilla urbaine : attentats à la bombe, sabotage, attaque à main armée mais aussi l’organisation de rapt ou l’utilisation de véhicules piégés. La première opération ayant un retentissement national est l’enlèvement d’un journaliste du quotidien de droite La Nacion en décembre 1984. Entre décembre 1983 et octobre 1984, le FPMR réalise prés de 1 890 actions dont 1 138 attentats à la bombe, 229 sabotages, 163 attaques à main armée. Il engage des actions répétées contre les partis et mouvements d’extrême-droite ciblant les imprimeries de leurs journaux ainsi que leurs locaux. Les dirigeants du régime sont également des cibles privilégiées. Ainsi, en 1986, le colonel Mario Aberle Rivadeneira, chef du protocole à la garnison de Santiago est enlevé par le FPMR. Il est libéré trois jours plus tard sans qu’une rançon n’ait été demandé. En 1987, débutent les attaques contre les patrouilles de police tandis que sont également visées des cibles économiques notamment des entreprises américaines. À la fin de la décennie 1980, dans certaines provinces, des zones entières échappent peu à peu au contrôle des forces de l’ordre. Dans ces endroits, si de jour, les policiers et les militaires peuvent patrouiller, la nuit, ils préfèrent ne pas se montrer par crainte des attaques de la guérilla.

Dès sa création, le FPMR souhaite devenir le centre de ralliement de toutes les forces de gauche favorable à la lutte armée contre Pinochet. Dans ses rangs s’engagent donc des communistes, des socialistes et des militants d’extrême-gauche, les débats sur l’avenir du Chili après la chute de la dictature étant remis à plus tard. Le FPMR connaît une croissance rapide puisqu’en 1985, il rassemble environ 1 500 combattants réunis dans 500 groupes de combat. L’année 1986 marque son apogée avec de 3 000 à 4 000 militants et sympathisants contre les 1 000 à 2 000 des années précédentes. Le FPMR est fortement structuré comme il sied à toute organisation communiste avec des sympathisants, des militants, des chefs de détachements, des chefs de zone et des commandants, la majorité des cadres étant issus des Jeunesses communistes chiliennes.

Le financement et l’approvisionnement en matériel de l’organisation sont fournis par Cuba et les pays d’Europe de l’Est. Ainsi, en mai 1986, dans le port du petit village de Carrizal Bajo, les hommes du FPMR débarquent prés de 80 tonnes d’armement transportés jusque-là par les forces spéciales cubaines. Ces armes, de l’explosif C-4, des lance-roquettes RPG-7 et M72-Law et plus de 3 000 fusils d’assaut M-16, représentant une valeur de 30 millions de dollars, sont d’origines américaines en provenance du Vietnam. Si le déchargement d’une telle quantité passe au départ inaperçu, de nombreuses imprudences commises par des militants permettent aux forces de sécurités chiliennes de mettre la main sur cet impressionnant arsenal. Début août, près de 90 % de ce matériel est déjà tombé entre les mains des autorités.

Combattants du FPMR

Combattants du FPMR

L’année 1986 est aussi celle où le FPMR réalise une opération préparée depuis la fin 1984 sous le nom d’opération 20e siècle et qui vise, rien de moins qu’à assassiner le général Pinochet. Les armes utilisées sont celles débarquées à Carrizal Bajo et qui ont été distribué avant que la police ne découvre la plus grande partie des stocks. L’opération est menée pour la partie militaire par José Valenzuela Levi, commandant Ernesto, tandis que la logistique et la planification sont du ressort de Cecilia Magni, commandante Tamara.

Le 7 septembre 1986, Pinochet quitte sa résidence de vacances à El Melocoton pour rentrer à Santiago. Le convoi du dictateur est composé de cinq véhicules dont deux blindés et l’escorte, fortement armée, comprend des policiers et des militaires. Il est attaqué par une vingtaine de militants du FPMR armés de fusils M16 et de lance-roquettes M72 LAW. Pinochet, qui voyage dans l’un des deux véhicules blindés, sort indemne de l’attaque. Il doit la vie à une roquette qui a rebondi sur le toit de son véhicule plutôt que de frapper la carrosserie et à l’habileté de son chauffeur. Cinq gardes du corps du dictateur sont néanmoins tués lors de cette opération.

L'opération 20e siècle

L'opération 20e siècle

La rupture avec le PC chilien.

Malgré son statut formel de branche armée du Parti communiste, le FPMR se transforme peu à peu en organisation autonome. Cette situation est le résultat de la montée des divergences de plus en plus fortes entre le commandement du FPMR dont les vues sont plus radicales que celles des dirigeants en exil du PC chilien. Ces derniers constatent en 1987 que Pinochet tient toujours fermement le Chili et que les actions militaires des années précédentes n’ont rien changé à cette situation. Ils décident alors de modifier la ligne pour privilégier une sortie de la dictature par la voie politique et non plus seulement militaire.

Pinochet devant son véhicule après l'attentat du FPMR

Pinochet devant son véhicule après l'attentat du FPMR

Pour Raul Pellegrin, la position nouvelle prise par le PC signifie un abandon du travail militaire et la marginalisation du FPMR. La rupture scelle la création d’un FPMR autonome à laquelle adhérent des commandants formés à Cuba comme Vasili Carrilo et Galvarino Apablaza. Il commence alors à publier le journal El Rodriguista sous la direction d’Alex Voytovych. Le conflit entre le PC et le FPMR s’accompagne néanmoins d’une crise interne au sein de ce dernier. Quand la direction communiste appelle à dissoudre l’organisation militaire, des militants obéissent et déposent les armes pour fonder le Mouvement patriotique Manuel Rodriguez dirigé par le PC, un groupe qui, par la suite, se séparera néanmoins des communistes.

Outre cette crise interne, la répression qui suit la tentative d’attentat contre Pinochet affaibli le FPMR. De nombreux responsables sont abattus notamment lors de l’opération Albania où 12 militants sont assassinés dans divers endroits du pays le 15 juin 1987 par des policiers et des militaires. Le FPMR se lance alors dans une campagne visant des personnalités du régime comme le colonel Carlos Carreño, enlevé en septembre 1987, ou la tentative d’attentat contre le procureur Torres en mai 1988. Il s’engage également dans ce qu’il appelle une « guerre nationale patriotique » afin de soulever la population contre Pinochet. C’est au cours de cette campagne que Raul Pellegrin trouve la mort. Le 21 octobre 1988, en essayant d’échapper à un encerclement policier, des combattants du FPMR, dont Pellegrin, sont arrêtés. Son corps sera retrouvé deux jours plus tard dans une rivière. La direction du FPMR passe alors à Galvarino Apablaza, commandant Salvador.

Raul Pellegrin

Raul Pellegrin

Malgré la rupture avec le PC chilien, Cuba continue à soutenir financièrement et à assurer le ravitaillement en armes du FPMR. La Stasi participe également activement à l’aide apportée aux guérilleros. Raul Pellegrin se rend ainsi régulièrement en RDA où il rencontre des responsables est-allemands. Mais les fonds envoyés depuis Cuba sont généralement insuffisants pour financer l’ensemble des activités du FPMR qui complète ses besoins par une politique « d’expropriation » ou de rackets des entreprises afin de percevoir un impôt révolutionnaire.

Cecilia Magni, commandante Tamara

Cecilia Magni, commandante Tamara

La fin du FPMR.

À la fin des années 1980, la situation économique du Chili se détériore entraînant le développement de manifestations de masse. Le soutien américain au général Pinochet commence également à fléchir et Washington, en cette période de fin de Guerre froide, ne désire plus le maintien du dictateur. Face à la mise en cause de son pouvoir, Pinochet est poussé à organiser un référendum, le 5 août 1988, dont il espère qu’il sera un plébiscite en sa faveur. À sa grande surprise, la majorité des Chiliens vote contre le maintien de la dictature. Le vieux général se voit alors contraint d’entamer une procédure de transmission de pouvoirs à un gouvernement civil. Le 11 mars 1990, il démissionne de sa charge de chef de l’État.

Tract du FPMR

Tract du FPMR

La fin de la dictature et le retour de la démocratie au Chili ne signifient pourtant pas l’arrêt des opérations militaires du FPMR. Si ce dernier réduit l’intensité de ses actions, il continue à porter des coups. Il organise ainsi le rapt du fils du propriétaire d’un grand quotidien en septembre 1991. Surtout, le 1er avril 1991, le FPMR abat le sénateur Jaime Guzman. Cuba condamne cette action et cesse de soutenir l’organisation. Quant aux autorités chiliennes, elles forment une unité de renseignements pour combattre les groupes armés, notamment le FPMR. En 1992, cette unité, avec la collaboration d’anciens militants, appréhende les auteurs du rapt de septembre 1991. Durement frappé par ces arrestations, le FPMR cesse toute action pendant quelques années. Il refait parler de lui, le 30 décembre 1996 quand certains de ces militants, enfermés dans la prison de haute sécurité de Santiago, parviennent à s’en évader en utilisant un hélicoptère. Après cette action d’éclat, l’aventure militaire du FPMR cesse et finalement, en 1999, il est retiré de la liste des organisations terroristes par le Département d’État américain.

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GuideICSerge Wolikow, Alexandre Courban, David François, Christian Oppetit, Guide des archives de l'Internationale communiste, 1919-1943, Archives nationales-MSH Dijon, Paris-Dijon, 2009. 

9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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