Jean-Jacques Marie, La guerre des Russes blancs, 1917-1920, Tallandier, 2017.
La guerre civile russe est un événement majeur qui conditionne fortement la structure et la mentalité du communisme soviétique. Remercions Jean-Jacques Marie, déjà auteur d’une petite synthèse sur le sujet, d’offrir au lecteur un ouvrage plus complet, même s’il n’étudie que l’un des camps de ce conflit, celui des Blancs. En effet, si l’auteur concentre son attention sur ces derniers, à travers eux c’est un panorama de la guerre civile qu’il retrace avec précision et esprit de synthèse.
Jean-Jacques Marie montre d’abord l’extrême hétérogénéité de ceux qui furent appelés les blancs. En effet, des menchéviks aux monarchistes, des SR aux libéraux, la lutte contre les bolcheviks regroupe des courants que presque tout oppose. Mais rapidement l’ascendant des militaires s’impose aux politiques comme le montre le coup d’État d’Omsk organisé par l’amiral Koltchak contre le gouvernement SR. Pouvait-il d’ailleurs en être autrement dans une guerre civile où le plus petit dénominateur commun entre les adversaires du bolchevisme était la nécessité de le combattre par les armes ?
Ces militaires, anciens généraux de l’armée du tsar, représentent une menace terrible pour le nouveau pouvoir soviétique qu’ils sont à plusieurs reprises sur le point de renverser notamment à la suite de la prise de Perm en 1918, lors de la tentative de Ioudenitch de prendre Petrograd en juin 1919 ou au moment de la grande offensive de Denikine qui atteignit Orel à l’automne. Malgré ces succès, les Blancs sont finalement les vaincus de la guerre civile. Plus qu’une chronique politique et militaire de ce conflit, vue du côté blanc, Jean-Jacques Marie cherche d’abord à cerner les raisons de cette défaite finale.
L’auteur montre ainsi l’extrême confusion qui règne chez les Blancs où les hiérarchies sont plus formelles que réelles, un phénomène qu’accentue les rivalités entre les différents chefs militaires. Il en résulte essentiellement un manque de coordination entre les différents fronts, ce qui permet à l’Armée rouge de déplacer ses troupes d’une zone à l’autre selon les besoins et d’appliquer le principe, essentiel dans l’art de la guerre, de la concentration des forces. L’organisation des armées blanches est également défectueuse notamment en raison de l’absence d’une chaîne logistique efficace. La troupe, sans ravitaillement, doit donc vivre sur le pays ce qui conduit à des rapines où la soif du butin l’emporte sur celle de combattre. Cette situation mine la discipline des troupes blanches qui s’adonnent également aux pogroms. Si ces derniers ne choquent pas véritablement les généraux, ils finissent néanmoins par s’en inquiéter essentiellement en raison de la mauvaise image qu’elle donne à la cause blanche en Occident.
Jean-Jacques Marie démontre surtout que plus qu’une lutte militaire, la guerre civile est essentiellement un combat politique où les Blancs sont largement surclassés par leurs adversaires. Dominés par les militaires, ces derniers se préoccupent d’abord de gagner la guerre et repoussent les décisions politiques et sociales à la convocation d’une Assemblée constituante une fois les bolcheviks vaincus. Ils s’aliènent ainsi la paysannerie qui craint qu’on lui retire les terres que lui a donné la révolution mais également les minorités nationales qui aspirent à l’indépendance ou à l’autonomie et dont l’appui leur manquera aux moments décisifs du conflit.
L’auteur retrace également le destin des blancs défaits et exilés de par le monde, la poursuite de leur combat contre l’URSS, leur divisions durant la Seconde Guerre mondiale entre les partisans d’une collaboration avec l’Allemagne et ceux qui restent avant tout des patriotes russes. Il n’oublie pas non plus d’explorer l’image de l’aventure blanche dans la Russie contemporaine. S’appuyant sur un impressionnant matériel documentaire, il nous offre ainsi un livre de référence sur un sujet incontournable pour comprendre le 20e siècle russe.