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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 07:06

Traditionnellement en URSS et désormais en Russie, le 23 février est fêté comme le jour anniversaire de l’Armée rouge. La date choisie est celle du 23 février 1918 quand des troupes de volontaires ont affronté les forces allemandes à Pskov et à Narva. Cependant, les décrets qui donnent naissance à l’Armée rouge sont adoptés dès janvier. À ce moment-là, les bolcheviks qui ont pris le pouvoir début novembre 1917, affrontent un problème fondamental : la défense de leur révolution face à des ennemis intérieurs et extérieurs.

La naissance de l’Armée rouge

De l’armée tsariste à l’Armée rouge.

La destruction de l’armée tsariste commence dans les dernières années de l’Empire russe quand la fatigue morale et psychologique fissure la cohésion de troupes engluées dans une guerre qui dure depuis trois ans. Cela conduit à une chute de la discipline, des désertions massives, la multiplication des abandons de poste et le lâchage du tsar par ses principaux généraux en mars 1917. Cette désagrégation s’accélère sous le gouvernement provisoire quand la libéralisation et la démocratisation conduisent à la disparition de l’armée en tant que structure unifiée. Dans une période de trouble, d’agression extérieure, le jeune pouvoir soviétique à besoin d’une nouvelle armée pour protéger le pays et défendre le projet socialiste.

 

Aux lendemains de la Révolution d’Octobre, Lénine et les bolcheviks voient l’avenir dans la formation d’une armée de volontaires ayant des dirigeants élus. Cette vision s’appuie sur la thèse marxiste du remplacement de l’armée régulière par l’armement universel des travailleurs. À l’été 1917, quand il écrit L’État et la Révolution, Lénine préconise déjà le remplacement de l’armée régulière par « la nation armée ». Le 16 décembre 1917, le comité exécutif central du Soviet publie donc un décret sur l’élection et l’organisation du pouvoir dans l’armée et l’égalité des droits des militaires.

 

Pour protéger les acquis de la révolution, le nouveau pouvoir s’appuie alors principalement sur les détachements de garde rouge dirigé par le Comité militaire révolutionnaire et des unités de soldats et de marins révolutionnaire de l’ancienne armée. Le 26 novembre 1917, les anciens ministères s’occupant des forces armées sont remplacés par un Comité des affaires militaires et navales dirigé par Antonov-Ovseenko, Krylenko et Dybenko. En décembre, ce comité devient un commissariat du peuple dirigé par Podvoïski.

 

Le 26 décembre, devant l’organisation militaire du parti bolchevik, Lénine, qui veut créer une force armée de 300 000 hommes, décide de mettre en place un collège pour la formation et l’organisation de l’Armée rouge. Cette commission doit développer dans les plus brefs délais les principes d’organisation et de construction d’une nouvelle armée. Les travaux du collège sont approuvés par le 3e congrès des Soviets qui se réunit du 10 au 18 janvier 1918 et entérine ainsi la formation d’une armée de l’État soviétique qui prend le nom d’Armée rouge des ouvriers et paysans.

 

Le décret de création de cette armée est signé le 29 janvier (11 février du calendrier grégorien). Sa définition comme une armée des ouvriers et paysans souligne son caractère de classe, c’est l’armée de la dictature du prolétariat qui doit être composée principalement de travailleurs des villes et des campagnes. Cette armée, qui ne doit avoir dans ses rangs que des volontaires, est conçu comme une armée révolutionnaire. Vingt millions de rouble sont alors alloués à la formation des détachements de volontaires tandis que les départements des anciens ministères militaires sont réorganisés ou abolis.

 

La naissance de l’Armée rouge

Le 18 février 1918, les troupes allemandes et austro-hongroises, soit plus de 50 divisions, violent la trêve signée à Brest-Litovsk en décembre 1917 et lancent une offensive de la Baltique à la mer Noire. Dans le Caucase, l’armée ottomane a repris l’offensive le 12 février. Les restes de l’ancienne armée, complètement démoralisé et désorganisés, ne peut résister à l’adversaire et se débande. De l’ancienne armée, les seules unités qui conservent encore une discipline miliaire sont les régiments de tirailleurs lettons qui se sont ralliés aux bolcheviks.

 

Face à l’offensive austro-allemande, quelques généraux de l’armée tsariste propose de former des détachements avec les débris de l’ancienne armée. Mais les bolcheviks craignant que ces troupes ne se retournent contre le pouvoir soviétique refusent. Cependant, ils conservent à leurs côtés quelques généraux afin d’attirer à eux les anciens officiers. Le 20 février, un groupe d’une douzaine de généraux conduit par Bonch-Brouevich arrive de l’ancienne Stavka à Petrograd pour former la base du Conseil militaire suprême. De mars à août, Bonch-Brouevitch sera le chef militaire du Conseil militaire suprême et en 1919 chef de l’état-major. Durant la guerre civile, de nombreux généraux et officiers de l’armée tsariste servent dans l’Armée rouge. Sur les 150 000 anciens officiers, si environ 40 000 ne prennent pas part aux combats, 40 000 rejoignent les Blancs et 75 000 l’Armée rouge.

À la mi-février 1918, est mis sur pied à Petrograd le Premier corps de l’Armée rouge. Formé de 3 compagnies de 200 hommes chacune, il est composé d’ouvriers et d’anciens soldats. Au cours des deux premières semaines de son existence, ses effectifs montent à 15 000 hommes. Une partie du corps, environ 10 000 hommes sont formées et envoyés sur le front prés de Pskov, Narva, Vitebsk et Orcha. Vers le début de mars de 1918, le corps comprend 10 bataillons d’infanterie, un régiment de mitrailleuse, 2 régiments à cheval, des batteries d’artillerie, un groupe d’artillerie lourde, 2 bataillons blindés, 3 détachements aérien, un détachement aérostatique, des formations du génie, d’automobile de motocyclistes et l’équipe de projecteurs. En mai 1918, le corps est licencié et ses hommes rejoignent les 1-er 2-ème 3-ème et 4-ème divisions d’infanterie, formées dans la région militaire de Petrograd. À la fin février, ce sont 20 000 volontaires qui se sont enrôlés à Moscou.

 

Le 23 février, l’Armée rouge connaît son baptême du feu sous Narva et Pskov en repoussant des troupes allemandes. Malgré ce succès, les premiers pas de l’Armée rouge se font dans l’improvisation. Les détachements de volontaires forment des unités de combat à partir des possibilités et les besoins de chaque région. Les détachements comprennent ainsi de quelques dizaines d’hommes à plus 10 000 pour certains. Les bataillons, les compagnies et les régiments se révèlent dont très hétérogènes tandis que les tactiques des troupes sont définies à partir de l’héritage de l’armée russe, des conditions politiques, géographiques et économiques des régions où se déroulent les combats mais reflètent également les personnalités de leurs commandants, tels que Frounze, Chtchors, Boudenni, Tchapaev, Kotovsky et les autres.

La construction d’un outil militaire efficace.

Le 3 mars 1918 est fondé le Conseil militaire suprême sous la direction du commissaire du peuple pour les Affaires militaires, Léon Trotski. Ce conseil coordonne l’activité des départements militaires, fixe les taches pour la défense de l’État et l’organisation des forces armées. Trotski met également en place l’Institut des commissaires militaires qui devient en 1919 l’administration politique de l’armée puis les nouvelles régions militaires sont établis le 25 mars. Le conseil militaire suprême examine également un projet d’organisation des divisions d’infanterie qui deviennent l’unité de combat principale de l’Armée rouge. La division se compose de 2 ou 3 brigades chacune formée de 2 ou 3 régiments. Chaque régiment comprend 3 bataillons divisés en 3 compagnies.

 

La marche des hostilités montre rapidement les limites du système du volontariat et de l’organisation « démocratique » à l’armée en excluant la possibilité d’une direction centralisée des troupes. Pour remédier au problème du manque d’effectif s’opère le passage graduel du principe du volontariat vers la construction d’une armée régulière sur la base du service militaire obligatoire général. Pour assurer cette transition, le 26 juillet 1918, Trotski présente au Conseil des commissaires du peuple un projet sur le service militaire obligatoire général des travailleurs et l’enrôlement des conscrits des classes bourgeoises dans les milices populaires de l’arrière. Peu de temps avant, le comité exécutif central du soviet a annoncé l’enrôlement de tous les ouvriers et également des paysans n’utilisant pas de salariés dans 51 districts des régions militaires du bassin de la Volga, de l’Oural et de Sibérie occidentale, ainsi que des ouvriers de Petrograd et de Moscou. Les mois suivant la conscription s’étend aux cadres de l’ancienne armée. Par le décret du 29 juillet 1918 toute la population masculine de 18 à 40 ans est soumise aux obligations militaires et enregistrée établissant de fait le service militaire obligatoire. Ces décrets permettent la croissance considérable des forces armées de la république soviétique.

 

Le 2 septembre 1918, le conseil militaire suprême est supprimé et ses attributions dévolues au conseil militaire révolutionnaire de la république (CMR), présidé par Trotski. Il concentre l’essentiel des fonctions administratives et opérationnelles pour la gestion des forces armées. C’est lui qui, par exemple, prend la décision de créer un corps de cavalerie au sein de l’Armée rouge. Le 1er novembre 1918, il se dote d’une structure opérationnelle, l’état-major de campagne. Les membres du CMR sont désignés par le comité central du Parti bolchevik et approuvés par le Conseil des commissaires du peuple. La composition du CMR est fluctuante puisqu’il peut comprendre, outre son président, ses assistants et le commandant en chef, de 2 à 13 personnes. En outre dès l’été 1918 se forme des Conseils militaires révolutionnaires dans les différents échelons de l’Armée rouge et de la Flotte : les fronts, les armées, les flottes, les flottilles et certains groupes de troupes.

 

En raison de l’accroissement de l’effort de guerre est apparue la nécessité de coordonner les structures qui y participent. Le 30 novembre 1918, un décret met en place le Conseil de défense des ouvriers et paysans dont la présidence est confiée à Lénine. Le Conseil de défense devient le principal centre de planification militaire et économique d’urgence de la République soviétique durant la guerre civile, contrôlant de fait les activités du CMR. En conséquence, il a tous les pouvoirs pour mobiliser et coordonner le travail de tous les organismes travaillant pour la défense du pays que ce soit dans le domaine industriel, celui des transports ou de l’approvisionnement.

 

Un travail considérable est également accompli pour rendre plus efficace l’Armée rouge avec la rédaction de nouvelles instructions sur l’emploi tactique des grandes unités pour toutes les armes et leur coopération en s’appuyant sur l’expérience de trois ans de la guerre mondiale. Un nouveau système de mobilisation est mis en place avec les bureaux de recrutement tandis que l’encadrement de l’armée est assurée par l’organisation des commissaires politiques. L’Armée rouge est alors commandée par certains des meilleurs généraux de l’ancienne armée et par 100 000 officiers de combat, y compris des anciens commandants de l’armée impériale.

À la fin de 1918, l’Armée rouge possède ainsi une structure d’organisation et un appareil de commandement. Pour consolider un système encore fragile, le pouvoir bolchevik envoie des militants communistes sur les principaux fronts. Ils sont 35 000 dans l’Armée rouge en octobre 1918, 120 000 en 1919 et 300 000 en août 1920, soit la moitié des effectifs du Parti bolchevik à cette époque. En juin 1919, une alliance militaire est conclue entre les différentes républiques soviétiques existantes alors : Russie, Ukraine, Biélorussie, Lituanie, Lettonie et Estonie. Elle permet un commandement militaire commun, une centralisation des finances, de l’industrie et des transports.

 

À la fin de 1920, l’Armée rouge compte 5 millions d’homme, mais en raison du manque d’équipements et d’armements sa force de combat n’excède pas 700 000 hommes répartie dans 22 armées, 174 divisions (dont 35 de cavalerie), 61 détachements aériens (300-400 avions), des unités d’artillerie et de blindées. Durant la guerre civile 6 académies militaires et plus de 150 cours ont formés environ 60 000 ouvriers et paysans à des fonctions de commandement dans toutes les spécialités.

 

 

Au final, la Russie soviétique a réussi à se doter d’une nouvelle armée assez puissante pour remporter la victoire dans la guerre civile à la fois sur les armées blanches, les différentes armées nationalistes et séparatistes et contre les révoltes agraires. Les grandes puissances à l’Ouest et à l’Est du nouvel État soviétique ont été aussi contraintes de se retirer de Russie et d’abandonner pour un certain temps toute idées d’intervention directe.

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GuideICSerge Wolikow, Alexandre Courban, David François, Christian Oppetit, Guide des archives de l'Internationale communiste, 1919-1943, Archives nationales-MSH Dijon, Paris-Dijon, 2009. 

9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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