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18 décembre 2012 2 18 /12 /décembre /2012 09:00

Emmanuel Lemieux, Tony 1942. Un procès oublié sous l'Occupation, Bourin éditeur, Paris, 2012.

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C'est par le biais d'un destin singulier qu'Emmanuel Lemieux s'attache à décrire les débuts de la lutte armée communiste dans la région parisienne à la fin de 1941. Il est vrai que le combattant auquel il s'interesse à un profil atypique. Tony Bloncourt est né en 1921 à Port-au-Prince : fils d’un grand blessé de guerre, sa famille s’est installée en Haïti dans l’immédiat après guerre. Il ne vient en métropole en 1938, au lycée Rollin devenu depuis Jacques Decour, que pour terminer ses études. Là, dans ces temps de Front populaire finissant et dans les débuts de cette drôle de guerre, Tony Bloncourt, issu d'une famille marquée à gauche, son oncle est alors député de l'Aisne, commence à militer aux Jeunesses communistes du XIe arrondissement parisien. Avec ses camarades il participe ainsi à la manifestation du 11 novembre 1940 sur les Champs-Élysées. C'est là la première action d'éclat d'une résistance qui se cherche encore.

 

Les choses changent de degré et d'intensité après l'invasion de l'URSS par l'Allemagne, le 21 juin 1941. L'heure est désormais pour les communistes de la lutte armée. Le 21 août, Pierre Georges, le futur colonel Fabien, abat un officier allemand dans le métro. En représailles les Allemands font fusiller 27 otages à Chateaubriand dont Guy Mocquet et Claude Lalet, tous deux lycéens et amis de Bloncourt. Ce dernier est alors engagé dans les actions des Bataillons de la Jeunesse, ces groupes armées qui ne rassemblent qu'une poignée de très jeunes gens.

 

Inexpérimentés et isolés, ces jeunes combattants sont rapidement repérés et arrêtés par la police. Tony Bloncourt sera le dernier de la bande à être capturé, le 5 janvier 1942, tôt le matin, près de la rue Gay-Lussac. Contrairement à certains de ses camarades, il n'a pas tué. Au moment de tirer sur un officier allemand qu'il était chargé d'abattre il n'ira pas jusqu'au bout. Tony Bloncourt est jugé par un tribunal militaire allemand en mars 1942 qui siège dans l'enceinte du Palais-Bourbon. Condamné à mort, il est fusillé au Mont-Valérien le 9 mars.

 

A côté du destin tragique de Tony Bloncourt, Emmanuel Lemieux retrace aussi celui de Jean Mamy. Ancien acteur et régisseur, ce dernier devient dans les années 1930, réalisateur de cinéma. Quel est le lien avec Tony Bloncourt ? Mamy, peu de temps après le jugement de Bloncourt, se retrouve à l'endroit où s'est tenu le procès pour tourner un film, Forces occultes, dont le thème principal est la dénonciation de la franc-maçonnerie. Et Mamy va aller plus loin dans son engagement collaborateur et pro-nazi, sous le nom de Paul Riche, en s'engageant dans le Cercle Aryen et en écrivant des articles antisémites dans la presse collaborationniste. Il ne s’arrête pas là, frayant avec les gestapistes français, assistant à des séances de torture et des exécutions avant d'infiltrer des réseaux de résistance pour mieux ensuite les dénoncer. A la Libération, Mamy est arrêté puis jugé. Il sera en 1949 le dernier fusillé de l’Épuration.

 

Dernier destin dont traite Lemieux, celui de Georges Veber, commissaire principal à la Préfecture de police. C'est lui qui dirige la Brigade spéciale qui fera la chasse à Bloncourt et ses camarades. Veber sera, de manière très éphémère, arrêté à la Libération avant de reprendre du service et de recevoir la Légion d'Honneur en 1963.

 

Le livre de'EmmanuelLemieux est bien écrit et donc agréable à lire. Pourtant il ne peut que décevoir ceux qui s’intéressent plus particulièrement à l'origine et au développement de la lutte armée communiste dans la région parisienne. Sur ce sujet, comme sur celui du fonctionnement du PCF et de la politique communiste en 1939-1941, il ne fait que reprendre les nombreux ouvrages parus récemment notamment ceux de Frank Liaigre et Jean-Marc Berlière (Le Sang des communistes). Le lecteur averti ressent alors une impression de déjà-vu, tout en pouvant relever ici et là quelques petites erreurs factuelles.

 

Pourtant quand il décrit le développement et l'organisation de la lutte armée, Emmanuel Lemieux est plus convaincant et surtout plus subtil en montrant les enjeux que cache le passage à l'action terroriste. Il décrit aussi de manière fine le travail policier qui permet la chute de Bloncourt et de ses amis montrant l’inexpérience de ces jeunes communistes.Tony, qui est passé au travers des arrestations, est ainsi pris lors d’un banal contrôle d’identité. Trop nerveux, il a essayé de s'enfuir pour échapper au contrôle.

 

Si le livre d'Emmanuel Lemieux ne peut remplacer les ouvrages d'historiens cités plus haut pour notre connaissance des débuts de la lutte armée, il retrace avec une certaine émotion le parcours de très jeunes gens qui acceptèrent de donner leur vie pour un idéal. Il montre également comment ce sacrifice fut occulté après la guerre ou instrumentalisé. Il faut attendre l'an 2000 pour qu'à l'initiative de Laurent Fabius, alors président de l'Assemblée nationale, un historien, Éric Alary, étudie le procès du Palais-Bourbon et qu'une plaque ne soit apposée à l'endroit où les sept combattants des Bataillons de la Jeunesse furent en 1942 condamnés à mort.

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9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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