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23 novembre 2016 3 23 /11 /novembre /2016 07:33

Alain Roux, Chiang Kaï-shek, un destin trop grand, Payot, 2016

Le rival de Mao

Alors que Mao Tsé-toung a été l’objet de nombreuses biographies, il n’en existait pas, en français, de son grand rival, le généralissime Chiang Kaï-shek. Cette absence est aujourd’hui largement comblée avec la belle biographie que lui consacre Alain Roux.

 

Il n’est pas possible de tracer ici, en quelques lignes, le destin de Chiang Kaï-shek qui se confond en grande partie, au moins jusqu’à la fin des années 1950 avec l’histoire de la Chine. Comme de nombreux Chinois de sa génération, notamment Mao, Chiang a particulièrement souffert des humiliations que les puissances occidentales et le Japon infligèrent à son pays au moment de la guerre des Boxers en 1900. Restaurer la puissance et le prestige de son pays devint alors l’aiguillon qui guida son action et sa politique. Obscur militaire nationaliste à ses débuts, il parvint rapidement à se faire un nom auprès de Sun Yat-sen dont il se réclama par la suite l’héritier tout en prenant le contre-pied de sa politique sur certains points. Il en fut ainsi des relations entre nationalistes et communistes. Si Sun avait initié le rapprochement entre ces deux forces, obtenant ainsi le soutien, notamment militaire, de l’URSS, Chiang fut l’homme de la rupture avec les communistes qu’il massacra impitoyablement à Shanghaï en 1927 puis qu’il poursuivit lors de campagnes d’extermination qui faillirent d’ailleurs mettre un terme à l’existence du mouvement communiste chinois.

 

C’est la guerre contre le Japon en 1937 qui sauve Mao et ses partisans en forçant Chiang a tourné toute ses forces contre l’envahisseur et à consentir une alliance précaire avec les communistes qui lui permet d’obtenir le soutien de Moscou contre Tokyo. Chiang affronte seul les armées japonaises avant de recevoir l’aide des alliés occidentaux à partir de la fin 1941. Si la victoire finale de 1945 permet à la Chine d’entrer dans le cercle des Grands avec un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU, la guerre a largement ébranlé son image d’unificateur du pays. Les défaites militaires successives, l’inflation galopante, le développement de la corruption et l’absence de liberté minent le régime de Chiang qui va s’effondrer en quelques années face aux armées communistes.

 

Vaincu, Chiang se réfugie sur l’île de Taïwan dont il entend faire sa base de départ pour reconquérir le continent. S’il bénéficie de la protection militaire américaine contre une attaque de la Chine populaire, son projet de reconquête ne verra jamais le jour. Pire encore, en 1972, Nixon rend visite à Mao tandis que le siège chinois au Conseil de sécurité de l’ONU est retiré à Chiang pour être donné à la Chine populaire. Dernier pied-de-nez de la vie, Chiang ne verra pas mourir son adversaire de toujours puisqu’il décède un an avant Mao.

 

S’appuyant sur le journal intime de Chiang, Alain Roux offre un portrait mesuré et sans complaisance d’un ambitieux qui, une fois arrivé au pouvoir ne se montra pas un grand politique, ni un grand stratège militaire. Son autoritarisme qui parfois se teinte d’une tentation fasciste, ses liens avec le crime organisé, son recours à l’assassinat politique finissent de dessiner un personnage qui paradoxalement est l’objet depuis quelques années d’une relative réhabilitation en Chine. Ce retour en grâce, signe d’un renouveau du nationalisme chinois, doit être surtout mis en parallèle avec le jugement plus mesuré, voire critique, des Chinois envers la politique maoïste. Néanmoins cette revanche posthume de Chiang sur Mao ne doit pas faire oublier que ce dernier surpasse le premier, non pas humainement, mais comme dirigeant politique sachant évaluer correctement un rapport de forces et utiliser les faiblesses et les divisions de ses adversaires pour rebondir quand le pouvoir semble lui échapper.

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4 septembre 2014 4 04 /09 /septembre /2014 07:46

Harold M. Tanner, The Battle for Manchuria and the Fate of China: Siping, 1946, Indiana University Press, 2013.

Une bataille pour la Chine

La guerre civile chinoise, qui opposa de 1945 à 1949 communistes et nationalistes, est très mal connu en France. Il n'existe d'ailleurs à notre connaissance aucun ouvrage en français sur ce conflit obligeant le curieux à se tourner vers l'historiographie anglo-saxonne pour mieux connaître un événement fondateur de la Chine contemporaine. Le livre de Tanner, professeur à l'Université de North Texas, ne traite pas de l'ensemble de cette guerre civile, mais d'une bataille cruciale qui eut lieu au printemps 1946 près de la ville de Siping en Mandchourie.

 

Longtemps occupée par les Japonais la Mandchourie tombe entre les mains des Soviétiques en août 1945. Lorsqu'ils s'en retirent, début 1946, après la signature de la paix avec le Japon, ils laissent le contrôle de la région aux communistes chinois de Mao. Cette situation est bien entendu inacceptable pour le gouvernement nationaliste qui commence alors à faire marcher ses troupes pour reprendre le contrôle de la Mandchourie. L'état-major communiste prend la décision d'engager une bataille décisive autour du nœud ferroviaire de Siping afin de briser l'armée nationaliste et de s'assurer le contrôle total de la Mandchourie. L'adoption de cette stratégie de guerre conventionnelle est un tournant sur le plan militaire pour les communistes chinois qui jusqu'alors ne pratiquaient que la guérilla. Ils se retranchent donc dans la ville de Siping mais après des semaines de violents combats, ils sont obligés de se retirer tandis que les troupes nationalistes entrent dans Siping. C'est alors que prend effet le cessez-le-feu négocié sous la pression du général américain Georges Marshall.

 

Les Américains craignent en effet que les communistes ne parviennent à renverser un gouvernement nationaliste gangrené par la corruption et l'incompétence. Ils espèrent que la fin des combats permettra de gagner le temps nécessaire pour renforcer le camp nationaliste et le maintenir en place. Mais le cessez-le-feu est rapidement rompu et l'affrontement reprend. Après plusieurs campagnes les nationalistes sont vaincus tandis que les communistes proclament la République populaire.

 

Au-delà de la description du contexte politique et de la bataille proprement dite, que l'auteur rend parfaitement compréhensible, l’intérêt du livre réside surtout dans les débats concernant l'enjeu et la portée de la bataille de Siping. Cet événement est en effet au cœur de controverses historiographiques et politiques. Pour les nationalistes elle fut une chance de gagner la guerre, chance qui fut gâchée par la signature d'un cessez-le-feu. Coté communiste se pose la question du bien-fondé du changement de stratégie militaire, le passage de la guérilla à la guerre conventionnelle. Sur le premier point Tanner répond clairement que les problèmes de logistiques auraient empêché l'armée nationaliste d'exploiter son succès à Siping. Sur le second l'auteur montre que la décision de Mao s'est soldée par un gaspillage des ressources militaires.

 

Le livre de Tanner, bien documenté et utilisant à la fois des sources communistes et nationalistes, est d'un accès facile et d'une lecture fluide. Une lecture indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à la guerre civile chinoise et plus largement à la naissance de la République populaire.

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communismeetconflits - dans Communisme chinois Guerre civile chinoise
6 décembre 2013 5 06 /12 /décembre /2013 07:36

Odd Westad, Decisive Encounters : The Chinese Civil War, 1946-1950, Stanford University Press, 2003.

1949, la Chine devient rouge

Voici un livre qui n'est pas un récit détaillé, pour cela il suffit de plonger dans la bibliographie fournie par l'ouvrage. Pourtant l'auteur parvient à fournir un récit de base clair et à présenter une analyse des principales caractéristiques de la guerre civile chinoise.

 

La Chine qui sort de la guerre contre les Japonais est un pays en ruine. Cela est particulièrement vrai dans le nord, lieu des principales batailles contre l'envahisseur japonais. Le parti nationaliste, le Kuomintang, de Tchang Kaï-chek qui était devenu la principale force dans la Chine d'avant-guerre, semble en position de retrouver sa domination sur le pays. Le gouvernement nationaliste est reconnu à l'échelle internationale, y compris par l'URSS, comme le seul pouvoir légitime pour représenter la Chine. Les Américains ont largement équipé les forces nationalistes, ce qui leur permettra de remporter les premières batailles de la guerre civile.

 

Mais le Kuomintang échoue à capitaliser ses avantages. Sa prééminence est une source de faiblesses car son incapacité à gérer le pays sape sa légitimité. La corruption, les conflits à l'intérieur du parti nationaliste, l'absence de leadership, l'ignorance économique et l'incompétence générale empêche Tchang Kaï-chek de gouverner efficacement et provoquent des troubles dans les campagnes et les villes.

 

Le Parti communiste chinois débute la guerre civile en position d'infériorité mais avec entre ses mains de nombreux atouts. Il possède une forte cohésion, sa direction est solide, ses cadres sont compétents. Surtout il contrôle la Mandchourie, la partie la plus industrialisée de la Chine et reçoit une aide importante et indispensable de l'URSS, même si elle ne doit pas être surestimée. La direction communiste a su tirer le meilleur parti de ses avantages et exploiter les lacunes des nationalistes. Sur le plan militaire, l'auteur montre que la guerre civile ne prit par la forme d'une insurrection populaire ni d'une guérilla mais d'un conflit classique dans laquelle les communistes s'imposèrent grâce à des chefs militaires compétents, notamment Lin Biao.

 

L'auteur montre le rôle crucial joué par l'expérience de la guerre civile dans l'histoire de la Chine communiste. La victoire de Mao assure sa domination sur le PC jusqu'à sa mort en 1976 tandis que la militarisation du parti, l'accent sur la nécessité de mobiliser la population de manière massive et rapide, l'importance accordée au volontarisme, l'utilisation du modèle soviétique marquent le pays pour de nombreuses décennies.

 

Ce livre donne une vue d'ensemble solide des événements tragiques qu'a connue la Chine à partir de 1945 et qui ont conduit ce pays à devenir le pays communiste le plus peuplé au monde. Il analyse de manière fine les raisons politiques et militaires qui conduisent à la défaite des nationalistes. Voici donc une base solide peur ceux qui découvrent le sujet traité et un bon point de départ pour élargir ses connaissances. Le lecteur peut néanmoins regretter le nombre réduit de cartes pour suivre le déroulement des campagnes militaires.

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communismeetconflits - dans Communisme chinois Guerre civile chinoise

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9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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