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12 mai 2017 5 12 /05 /mai /2017 07:38

L’Europe tremble sur ses bases en 1919, une année qui voit se multiplier les tentatives d’étendre la révolution soviétique en Europe occidentale. L’épicentre de ces bouleversements se trouve en Europe centrale, sur les territoires des Empires qui s’effondrent sous le poids de leur défaite dans le conflit mondial et de la crise politique et sociale qui en découlent. De Budapest à Munich, de Vienne à Berlin, les diverses tentatives d’instaurer des pouvoirs soviétiques se terminent néanmoins par des échecs qui marquent profondément l’histoire du mouvement révolutionnaire tout en écrivant quelques-unes de ses pages les plus tragiques.


 

La révolution en Bavière.

En Allemagne, où l’unité nationale ne date que de 1871, la défaite militaire du IIe Reich réveille les forces centrifuges, notamment dans les régions où les particularismes locaux sont restés vivaces. En Bavière, une région qui a conservé sa monarchie et une armée propre sous le IIe Reich, l’aspiration révolutionnaire se greffe à une montée du séparatisme. À Munich, ces tendances fragilisent la dynastie royale des Wittelsbach. Le roi Louis III, considéré comme un monarque libéral depuis qu’il a soutenu, en 1906, l’instauration du suffrage universel, doit affronter des manifestations de masse en novembre 1918. Avec la défaite, la population lui reproche en effet d’avoir suivi la Prusse dans la guerre sans prendre en compte les intérêts de la Bavière.

Manifestation à Munich en novembre 1918

Manifestation à Munich en novembre 1918

Lors de la grande manifestation du 7 novembre, sous la conduite du dirigeant du Parti social-démocrate indépendant (USPD) Kurt Eisner, les soldats rejoignent les manifestants, s’emparent de l’École militaire, de postes de police, de la prison et arrêtent des officiers. Le soir même le premier conseil d’ouvriers et de soldats est formé. Dans la nuit du 8 novembre, Eisner, leader de l’insurrection, annonce devant le conseil des ouvriers et soldats de Munich la déposition de Louis III et la fin de la monarchie en Bavière. Des conseils apparaissent alors dans l’ensemble des villes bavaroises, à Passau, Augsbourg, Rosenheim ou Nuremberg tandis que le drapeau rouge flotte sur la Frauenkirche, la plus haute cathédrale de Munich. La révolution se réalise sans effusion de sang.

La république ainsi proclamée se dote d’un gouvernement provisoire dirigé par Eisner qui prend également la direction des Affaires étrangères. Dans le même temps a été formé un Conseil central des soldats de Bavière. Si ce dernier est loin de partager les positions du gouvernement d’Eisner, il représente les nombreux conseils de soldats qui se sont multipliés dans le pays. Ces derniers qui représentent une force réelle capable de s’emparer du pouvoir, jouissent d’une grande influence et l’USPD comme les communistes sont contraints de prendre des décisions qui répondent aux aspirations de la masse des soldats. Au sein de l’armée, les conseils deviennent la principale structure du pouvoir et supplantent la hiérarchie traditionnelle. Eisner doit donc composer avec eux mais également avec les modérés du Parti social-démocrate (SPD) dirigés par le ministre de l’Intérieur, Erhard Auer. Ce dernier, hostile au pouvoir des conseils et favorable à l’instauration d’un régime parlementaire, propose la création d’une Garde civique où pourraient s’engager d’anciens officiers.

L’aile radicale des révolutionnaires, les anarchistes et les communistes, souhaite quant à elle que l’ensemble des pouvoirs soit transmis aux conseils sur le modèle soviétique. Le 7 janvier 1919, pour appuyer cette revendication, 4 000 chômeurs descendent dans la rue et essayent de prendre d’assaut le siège du ministère du Travail. Lors de ces incidents, trois personnes sont tuées et huit blessés. Eisner, qui n’est pas favorable à l’instauration d’un régime de type soviétique, demande l’arrestation des instigateurs de la manifestation, c’est-à-dire le communiste Leviné et l’anarchiste Mühsam. Leurs partisans descendent alors dans la rue et obtiennent leur libération.

Kurt Eisner

Kurt Eisner

Malgré l’activisme des révolutionnaires, lors des élections au Landtag bavarois du 12 janvier 1919, c’est le Parti populaire bavarois qui arrive en tête des suffrages, suivi par le SPD tandis que l’USPD d’Eisner ne recueille que 2,5 % des voix et 3 sièges. Les communistes ont, quant à eux, boycotté le scrutin. Le 21 février, après avoir donné sa démission du gouvernement suite à sa cuisante défaite électorale, Eisner sort du Landtag pour être abattu dans la rue par le comte Anton von Arco-Valley, un aristocrate monarchiste membre de la Société de Thulé. En tant que Prussien, intellectuel, juif et socialiste, Eisner est depuis longtemps la cible de la presse et des milieux de droite, où se distingue la Société de Thulé. Cette dernière est devenue l’un des centres de la contre-révolution en Bavière. Elle forme même une cellule militaire deux jours seulement après la proclamation de la République et se dote, le 5 janvier, d’une vitrine politique, le DAP (Parti ouvrier allemand) dirigé par Anton Drexler qui deviendra en 1920 le NSDAP, le Parti nazi.

Le meurtre d’Eisner provoque la stupéfaction et la colère qui se transforment vite en émeutes. Le Landtag est pris d’assaut et Auer, jugé responsable du meurtre d’Eisner est grièvement blessé par un militant communiste alors qu’il se trouve à la tribune. Les funérailles d’Eisner, le 26 février, sont l’occasion de grandes manifestations dans tout le pays et entament une phase plus radicale de la révolution. Le 22 février, les conseils de Munich ont formé un Conseil central des conseils, dirigé par l’USPD Niekisch, le futur théoricien du national-bolchevisme, qui demande au Landtag de proclamer l’instauration du pouvoir soviétique, proposition qui est rejetée. Les députés bavarois nomment néanmoins à la tête du gouvernement le social-démocrate Hoffmann dont les pouvoirs sont de plus en plus réduits face au chaos qui s’empare du pays.

Le 4 avril, les conseils d’Augsbourg demandent l’instauration d’une république des conseils et lancent une grève générale qui fait tache d’huile les jours suivants dans de nombreuses autres villes. Finalement, le 7 avril, le conseil central de Munich annonce la déposition du gouvernement Hoffmann et proclame la République des Conseils. Quand le Landtag est dispersé par les soldats révolutionnaires de la garnison, Hoffmann est contraint de se réfugier à Bamberg avec un contre-gouvernement socialiste avant de demander l’aide de Berlin. La Bavière soviétique peut alors prendre pour modèle la Hongrie voisine où le 20 mars a été proclamé une République soviétique. Certains se prêtent même à rêver d’une alliance entre la Russie, la Hongrie et la Bavière rouge, prélude à l’extension de la révolution socialiste en Europe centrale et occidentale.

Ernst Toller

Ernst Toller

Du gouvernement Toller à la prise du pouvoir par les communistes.

Le premier président de la République des Conseils est un poète de 25 ans, Ernst Toller. Originaire de Prusse, il se porte volontaire pour le front en 1914. L’expérience de la guerre change de façon spectaculaire les idées du jeune homme. Après 13 mois au front, il devient un pacifiste convaincu. Malade, il est démobilisé et rejoint Berlin avant de s’inscrire à l’Université d’Heidelberg où il fonde un cercle pacifiste. Surveillé par la police, le cercle est dispersé, ses membres expulsés de l’Université et envoyés au front. Toller qui est démobilisé se retrouve dans une prison militaire. Libéré, il se rend à Munich où il fait la connaissance du militant pacifiste, Kurt Eisner. De nouveau emprisonné, Toller ne retourne en Bavière qu’après la fin de la guerre. Après le meurtre d’Eisner, il prend une part active à l’agitation populaire et devient le chef de la République des Conseils.

Toller s’entoure d’intellectuels dont deux militants anarchistes, Gustav Landauer et Erich Mühsam. Le premier a fait des études de philosophie et de philologie à Heidelberg et Berlin où il a commencé à s’intéresser aux idées libertaires en étudiant Proudhon et Kropotkine. Pour ses écrits anarchistes il est emprisonné en 1893 puis en 1899. C’est en tant que savant et spécialiste de l’histoire de la Révolution française qu’il est appelé comme délégué populaire à l’Éducation de la Bavière soviétique. Mühsam est quant à lui un poète et dramaturge d’extrême gauche. Il a fréquenté dans sa jeunesse la bohème littéraire et artistique d’inspiration libertaire où il fait la rencontre de Landauer. Au début de la guerre, il prend des positions nationalistes mais sous l’influence de ses amis anarchistes il devient un farouche opposant au conflit. En raison de ces activités pacifistes, il est emprisonné en avril 1918 et ne retrouve sa liberté qu’en novembre pour rejoindre Munich. Ces trois intellectuels, Toller, Landauer et Mühsam, forment l’ossature du gouvernement des Conseils du 6 au 12 avril.

Jusqu’au 12 avril, la République des Conseils est caractérisée par le rôle dominant de l’USPD ainsi que par la participation active des anarchistes. Les communistes restent en retrait et n’hésitent pas d’ailleurs à entraver l’activité des forces qui la dirigent. Ce n’est que face à l’impéritie du gouvernement Toller et au risque de renversement du régime qu’ils se décident à y prendre une position dominante. Dans la nuit du 11 au 12 avril, les soldats de la garnison et les gardes républicains ralliés à Hoffmann s’emparent des principaux points de Munich. Mais le 12, les ouvriers révolutionnaires alliés aux Gardes rouges reprennent par les armes le contrôle de la ville. Les conseils se réunissent alors pour élire un nouveau gouvernement révolutionnaire où les communistes détiennent tous les pouvoirs.

Erich Mühsam

Erich Mühsam

Bien qu’ils n’aient pas demandé l’accord de la direction du PC allemand avant de s’emparer du pouvoir, les communistes peuvent s’appuyer sur les conseils que Lénine leur a fait transmettre par télégramme. L’une des premières instructions du dirigeant de la Révolution russe est de désarmer la bourgeoisie pour armer le prolétariat, de nationaliser les banques et de prendre des otages parmi la bourgeoisie. Ce que font les communistes bavarois en demandant à la population de remettre ses armes, en supprimant les journaux hostiles aux Conseils et en prenant des otages dont certains membres de la Société de Thulé.

Le principal dirigeant de la République des Conseils sous contrôle communiste est Eugen Leviné. Ce dernier est né en 1883 à Saint-Pétersbourg dans une famille de marchands juifs. À la mort de son père, sa mère s’installe avec lui à Wiesbaden. Leviné fait des études universitaires de droit où il rencontre de nombreux révolutionnaires russes en exil. Il se rend alors en Russie et participe à la révolution de 1905 dans les rangs du Parti socialiste-révolutionnaire. De retour en Allemagne, il adhère au SPD avant de servir comme traducteur dans l’armée allemande durant la guerre et de rejoindre le KPD. Le bras de droit de Leviné est Max Levien. Ce dernier est né à Moscou en 1885 dans une famille de riches commerçants allemands. Après des études universitaires en Allemagne, il retourne en Russie où il participe à la Révolution de 1905 dans les rangs du Parti socialiste-révolutionnaire. Arrêté par les autorités tsaristes et emprisonné, il part en exil en Suisse à sa libération où il établit des contacts avec les sociaux-démocrates russes notamment Lénine. Durant la guerre, il sert dans la garde royale bavaroise avant de rejoindre en novembre 1918 les spartakistes et de participer au congrès de fondation du Parti communiste allemand comme délégué de la section de Munich.

Eugen Leviné

Eugen Leviné

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GuideICSerge Wolikow, Alexandre Courban, David François, Christian Oppetit, Guide des archives de l'Internationale communiste, 1919-1943, Archives nationales-MSH Dijon, Paris-Dijon, 2009. 

9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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