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31 mars 2014 1 31 /03 /mars /2014 07:15

Jean Lopez, Lasha Otkhmezuri, Joukov. L'homme qui a vaincu Hitler, Perrin, 2013.

Vie et destin d'un maréchal soviétique.

Les livres en français concernant l'histoire militaire soviétique sont si rares qu'il faut souligner la parution de la biographie de Joukov écrite par Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri. Il n'en existait jusqu'alors qu'une seule mais qui datait des années 1960 et se trouvait depuis largement dépassé.

 

Si le cœur de l'ouvrage est formé par l'immense affrontement entre l'Union soviétique et l'Allemagne nazie, la Grande Guerre patriotique des Russes, les auteurs ne négligent pas de retracer le parcours de Georgui Konstantinovitch Joukov avant et après le second conflit mondial. Issu de la paysannerie moyenne, il s'extrait rapidement de la glèbe pour se retrouver ouvrier fourreur dans la prospère entreprise d'un oncle. Avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, le jeune Joukov est mobilisé dans l'armée en 1915 où il devient cavalier. Après un moment d'hésitation, il rejoint les bolcheviks et poursuit sa carrière militaire dans l'Armée rouge, s'illustrant durant la guerre civile mais surtout lors de la terrible répression de la révolte paysanne à Tambov en 1921. Joukov poursuit ensuite sa carrière, gravissant peu à peu les échelons et se faisant remarquer pour ses dons de chef à partir de 1930. Il suit des cours pour accroitre ses connaissances ce qui lui permet de découvrir l'art opératif élaboré par de remarquables théoriciens militaires soviétiques et dont il mettra en application les leçons, avec brio, entre 1939 et 1945. Il échappe aux purges qui déciment l'armée en 1937-1938, purges qui lui permettent de monter rapidement en grade et expliquent qu'à seulement 43 ans il commande en Mongolie les troupes qui affrontent les Japonais. Il remporte alors la victoire de Khalkhin-Gol qui met fin aux ambitions nippones sur la Sibérie.

 

Auréolé de sa victoire contre les Japonais et n'ayant pris aucune part aux désastres de la campagne de Finlande, Joukov est chef d'état-major quand Hitler lance, en juin 1941, son armée contre l'URSS. Il fait alors feu de tout bois pour enrayer l'engrenage de la défaite. Principal conseiller de Staline dans le domaine militaire il réussit à arrêter l'avancée allemande devant Moscou. Par la suite il joue un rôle central dans la victoire de Stalingrad, puis lors de la libération du territoire soviétique et enfin dans la conquête de l'Allemagne que couronne la prise de Berlin.

 

Après la guerre, jaloux de sa popularité et craignant une tentation bonapartiste, Staline place le maréchal Joukov dans une sorte d'exil intérieur. Il n'en sort qu'en 1953 pour permettre à Khrouchtchev de prendre le dessus sur Béria dans la lutte de succession pour le pouvoir après la mort de Staline. Ce retour au sommet est de courte durée car dès 1957 Joukov est mis à la retraite d'office. Il passe les dernières années de sa vie (il décède en 1974) à écrire ses Mémoires, largement expurgées avant publication par la censure brejnévienne.

 

L'édition non censurée de ses Mémoires dans la Russie postsoviétique est une des sources principales de cette biographie. Mais les auteurs ont pris soin de croiser ces documents avec d'autres, comme les agendas de Staline ou les directives prises par l'état-major soviétique, la Stavka, afin de s'approcher au plus prés de la vérité historique. Ces ressources documentaires permettent aux auteurs de faire un portrait tout en nuances de Joukov. Soldat énergique, intelligent, sobre, courageux, hyperactif, n'hésitant pas à tenir tête et à contredire Staline, Joukov possède aussi une face sombre. Vaniteux, orgueilleux, il fait preuve d'une grande brutalité n'hésitant pas à faire fusiller des officiers et des soldats, notamment lors de la débâcle de l'été 1941. Il est également peu économe en vies humaines, n'hésitant pas à sacrifier des milliers d'hommes dans des opérations risquées. Fidèle à la mémoire de Staline jusqu'à sa mort, il organise l'écrasement de la révolte hongroise de 1956. Surtout c'est un piètre politique ce qui explique les nombreux déboires qu'il connait après 1945.

 

Le lecteur peut parfois regretter que les auteurs n'approfondissent pas leurs analyses des rapports entre l'armée et le parti et ne disent mot sur l'économie de guerre et l'organisation de l'ensemble de la société dans le cadre du conflit. Il est vrai que sur ces points on ne peut leur faire grief de l'indigence de l'historiographie française sur l'histoire militaire soviétique qu'une biographie, même celle de l'un des plus prestigieux soldats de l'URSS, ne peut compenser.

 

Cette biographie de Joukov, écrite de manière claire et fluide, doit être saluée comme il se doit. Elle permet de dégager le maréchal soviétique de sa gangue de légende forgée aussi bien par ses partisans que ses adversaires et de mettre en lumière certains points méconnus de son existence et par extension de l'histoire de la guerre à l'Est. Elle est surtout un formidable point de départ pour développer une historiographie française sur l'histoire militaire soviétique. Au travail donc !

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9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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