Paco Ignacio Taibo II, Archanges. 12 histoires de révolutionnaires sans révolution possible, Métailié, Paris, 2012.
Où classer le livre de Paco Ignacio Taibo II ? Ceux qui se piquent de littérature savent que ce dernier est un des plus grands romanciers mexicains contemporains. Mais Paco Ignacio Taibo II ne se cantonne pas au seul roman. Il est ainsi l'auteur de deux solides biographies, l'une de Che Guevara et la plus récente de Pancho Villa. Avec Archanges, il se place délibérément à la frontière entre les deux genres.
A travers la vie de douze militants révolutionnaires il essaye de restituer les luttes sociales, les grèves insurrectionnelles et les révolutions manquées du XX°siècle. Mais Paco Ignacio Taibo II ne s’intéresse pas aux vainqueurs, tels Lénine ou Mao, mais plutôt aux vaincus de l'Histoire ceux qui sont engloutis par les évènements puis disparaissent des mémoires et des monographies. Et c'est tout ce qui fait l’intérêt de ce livre : il raconte des destins méconnus voire inconnus.
La plupart des héros que campe Paco Ignacio Taibo II, nous les avons déjà aperçu dans certains ouvrages où leurs noms n'apparaissent qu'au détour d'une page voire d'une note. Ainsi de Larrisa Reisner, combattante dans la guerre civile russe, puis agent secret soviétique en Afghanistan. Elle part ensuite en Allemagne assisté aux échecs des insurrections communistes dont celle de Hambourg en 1923 sur laquelle elle livre un témoignage. Désabusée et encline à la dissidence face à l'évolution de l'URSS, elle meurt en 1926, à 34 ans dans un hopital de Moscou. Adolf Ioffe, premier ambassadeur des Soviet dans l'Allemagne de Guillaume II est un vieux bolchevik qui se suicide en 1927 pour dénoncer l'exclusion du comité central de Trotski. Il retrace le destin de Max Holz, révolutionnaire allemand qui après 1918 mène la lutte armée contre les autorités. Condamné, emprisonné, puis amnistié en 1927, il rejoint l'Union soviétique pour disparaître de manière « accidentelle » en 1933. Les socialistes sont représentés dans la galerie de Paco Ignacio Taibo II en la personne de Friedrich Adler, fils du leader social-démocrate Victor Adler. Encore adolescent, Friedrich assassine en 1916 un ministre pour pousser l'empereur François-Joseph à cesser la guerre.
Le Mexique n'est pas oublié dans la personne de l'anarchiste Sebastian San Vicente, des peintres Diego Rivera et David Siqueiros, du syndicaliste et maire d'Acapulco Juan Escudero, de l’agitateur Librado Rivera à Tampico. Ils dressent à travers eux un portrait du Mexique révolutionnaire de l'après 1918. C'est aussi le Mexique qui sert de décor à un épisode de la vie du célèbre anarchiste espagnol Buenaventura Durruti que raconte Paco Ignacio Taibo II.
Paco Ignacio Taibo II fait aussi le tour du monde. Un épisode se place dans l'Espagne de la guerre civile au moment de la bataille de Guadalajara en 1937 quand un volontaire italien des Brigades internationales se sert d'un modeste haut-parleur pour démoraliser les soldats fascistes italiens qui lui font face. Puis le lecteur part vers la Chine des années 1920 quand Peng Pai, jeune communiste organise les revendications des ouvriers agricoles. Quand en 1927, le Kuomintang rompt son alliance avec les communistes, Peng Pai est poursuivi. Arrêté, torturé il est assassiné en 1929. Plus original encore car bien moins connu le destin de Raul Diaz Arguelles, un Cubain, combattant de la guerilla avec Castro qui, devenu colonel, part en Angola en 1975 pour soutenir le mouvement révolutionnaire. Il meurt quand son char saute sur une mine.
Paco Ignacio Taibo II allie la verve du conteur au don du romancier pour redonner vie à des personnages et des situations, le tout s'appuyant sur une documentation historique ample. Il nous livre ainsi, à travers un foisonnement de destins singuliers, une histoire du mouvement révolutionnaire qui parfois se confond avec un roman d'aventures. Remercions Paco Ignacio Taibo II de nous faire découvrir ces semi-anonymes qui sont la chair même de l'Histoire.