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28 janvier 2013 1 28 /01 /janvier /2013 10:24

L'écrasement de la Hongrie (juin-juillet 1919)

La décision de Kun d'accepter l'ultimatum de Clemenceau signe la fin de la République des conseils en Slovaquie. Mais si les Hongrois acceptent de se retirer ils espèrent que les Roumains feront de même au sud. Quand le Conseil allié demande aux Roumains d'évacuer la région à l'est de la Tisza, ceux-ci répondent qu'ils ne le feront que lorsque l'armée hongroise aura démobilisé. Devant l'intransigeance roumaine, Kun répond qu'il ne compte que sur les armes pour reprendre les territoires hongrois. A l'appel du conseil ouvrier central, 44 000 ouvriers prennent alors les armes. Le 12 juillet le gouvernement introduit la conscription obligatoire et accepte l'incorporation d'anciens officiers d'active. Mais la conscription, destinée à renforcer les effectifs, n'atteint pas son objectif et en juillet il y a moins de bataillons qu'en mai au moment où des milliers de volontaires s'enrôlaient par enthousiasme révolutionnaire.

position3mai.jpg                                       Le front sur la Tisza en mai 1919


Le 5 juillet, lord Balfour, le ministre des Affaires étrangères britannique, recommande une action militaire contre la Hongrie et le 17 juillet le conseil suprême allié examine un plan élaboré par Foch et devant mobiliser 100 000 hommes. Mais les Alliés préfèrent laisser faire la besogne par l'armée roumaine. Mais les Hongrois frappent les premiers le 21, jour de la grève générale internationale organisée par le Komintern, en lançant une attaque sur la Tisza dans la région de Szolnok. Les Roumains tiennent là un front de 250 km, de Szeged au sud au contact des Français et des Serbes à Tokaj au nord au contact des Tchèques. L'armée rouge hongroise, dont la majorité de l'encadrement est dorénavant le fait d'officiers de carrière, compte 100 bataillons d'infanterie, soit 50 000 soldats, 10 escadrons de cavalerie, 69 batteries d'artillerie et 9 trains blindés. Mais les unités chargées de l'offensive sont de second ordre et attaquent en terrain découvert tandis qu'au nord les Tchèques avancent en Slovaquie empêchant les Hongrois de rapatrier des troupes vers le sud. L'armée rouge doit alors mener une offensive avec moins de bataillons que Stromfeld n'en disposait contre les Tchèques. Le plan hongrois consiste néanmoins à traverser la Tisza pour marcher sur Statu Mare, Oradea et Arad en espérant que se produisent simultanément un soulèvement communiste en Roumanie et l'attaque de la Bessarabie par les Soviétiques.

artilleurs-hongrois-a-Sabinova-juin-1919.jpg       Artilleurs hongrois en juin 1919


L'armée roumaine compte 92 bataillons d'infanterie soit 48 000 hommes, 58 escadrons de cavalerie avec 12 000 hommes, 80 batteries d'artillerie et deux trains blindés. Ces unités ont été placés le long de trois lignes de défense. La première ligne, plutôt mince, est censée mener des actions de retardement en cas d'attaque hongroise. La deuxième ligne doit stopper les attaquants jusqu'à ce que la contre-attaque des troupes de la troisième ligne débute. La première ligne inclut la 16e division au nord et la 18e division au sud. Dans la deuxième ligne des formations plus puissantes ont été rassemblés comme la 2e division Vanatori autour de Nyiregyháza, et la 1ère division Vanatori dans le sud, autour de Békéscsaba. La troisième ligne comprend les formations les plus puissantes de l'armée et doit servir de masse de manœuvre. Elle est composé des 1ère et 6ème divisions d'infanterie et des 1er et 2e divisions de cavalerie en position le long de la ligne ferroviaire allant de Carei jusqu'à Arad. Deux divisions d'infanterie sont chargées d'assurer la sécurité derrière la troisième ligne.


Entre le 17 et le 20 juillet, les Hongrois commencent par bombarder les positions roumaines et mènent des opérations de reconnaissance. Le 20 juillet, vers 3h00, après un violent bombardement, l'infanterie hongroise traverse la Tisza et attaque les positions roumaines. Au nord, les Hongrois s'emparent de Rakamaz mais les troupes de la 16e division roumaine reprennent la ville le lendemain, avec l'aide de la 2ème division Vanatori. Toutefois, les Hongrois repartent à l'assaut, soutenus par leur artillerie. Ils reprennent la ville, mais ne peuvent sortir de la petite tête de pont qu'ils ont créée. Pour débloquer la situation ils essayent de déborder les positions roumaines à Tiszafüred plus au sud avec des troupes de la 80e Brigade internationale, mais cette tentative est stoppée par les troupes de la 16e division roumaine. Les Roumains contre-attaquent et lancent les troupes de la 20e division d'infanterie au combat. Ils réussissent ainsi à dégager la tête de pont de Tiszafüred le 24 juillet. N'étant toujours pas en mesure de sortir de Rakamaz, les Hongrois commencent à fortifier leurs positions mais le 26 juillet les Roumains attaquent et, après quelques combats violents, mettent fin à l'existence de la tête de pont hongroise. Ils contrôlent alors totalement la rive orientale nord de la Tisza.


Au centre du front, le 20 juillet, les 6° et 7° divisions hongroises ont réussi à établir une solide tête de pont sur ​​la rive orientale de la Tisza à Szolnok, et cela en dépit de l'opposition du 91° régiment roumain. Elles sont même parvenus à franchir la première ligne de défense roumaine. La 6° division hongroise attaquent alors à l'est et s'empare de Törökszentmiklos, tandis que la 7ème division s'avance vers Mezotúr. Dans le même temps, la 5e division a franchi la Tisza et attaque en direction de Túrkeve. Le 22 juillet, les Hongrois s'avancent vers Kunhegyes à environ 20 km au nord de Szolnok et défont le 18e régiment Vanatori. Les troupes roumaines de la 18e division sont alors renforcées avec des formations de la deuxième ligne. Pourtant le 23 juillet, les Hongrois parviennent encore à prendre Túrkeve et Mezotúr. Dans la nuit du 23 au 24 juillet, ils contrôlent un morceau de la rive droite de la Tisza, face à Szolnok sur une largeur de 80 km et une profondeur de 60 km et obligent l'armée roumaine à former un groupe de manœuvre avec des troupes de la troisième ligne de défense le long de la Tisza.

rouge a Szolnok                  Les Hongrois à Szolnok

                                    

Au sud du front, la deuxième division hongroise a besoin de deux jours pour prendre Szentes des mains des 89e et 90e régiments roumains. Les 21 et 22 juillet, la ville de Hódmezovásárhely change plusieurs fois de mains avant que le 23 les Roumains ne la réoccupent définitivement. Ils reprennent également les villes de Szentes et Mindszent, forçant les Hongrois à retraverser la Tisza et mettant ainsi fin aux combats dans ce secteur.


Le groupe de manœuvre roumain est alors mobilisé dans le but de stopper l'offensive hongroise. Il attaque le 24 juillet avec la 2e division de cavalerie et la 18° division d'infanterie qui s'emparent de Kunhegyes. La 1ère division d'infanterie roumaine attaque la 6° division hongroise qu'elle repousse parvenant à s'emparer de Fegyvernek. La 6e division roumaine a moins de succès et doit subir les contre-attaques des formations de réserve hongroises. En définitive, le 24 juillet, les Roumains ont réussi à repousser les Hongrois d'environ 20 km et surtout à reprendre l'initiative. Ils renforcent le groupe de manœuvre avec des troupes venues du nord où les combats ont diminué d'intensité. Les troupes roumaines reçoivent alors l'ordre d'attaquer l'ennemi le lendemain sur l'ensemble du front.


Le 25 juillet les combats sont particulièrement violents autour de Fegyvernek, où les Hongrois ont choisi de contre-attaquer. Vers la fin de la journée, le groupe de manœuvre roumain commence à briser les positions hongroises dans le nord tandis que celles dans le sud s'effondrent. Les Hongrois débutent alors une retraite générale en direction de Szolnok et des ponts sur la Tisza qu'ils font sauter le 26 dans l'espoir d'arrêter l'avance roumaine. Dans la soirée du 26, toute la rive orientale de la Tisza est à nouveau sous contrôle roumain.

bataille-Tisza.jpg                     La bataille de la Tisza, juillet 1919


Après avoir repoussé l'attaque hongroise, les Roumains commencent à planifier la traverser de la Tisza pour porter le coup final à la Hongrie soviétique. Ils font venir la 7e division d'infanterie du front de Bessarabie ainsi que la 2e division d'infanterie. Pour traverser la rivière le commandement roumain dispose alors de 119 bataillons, soit 84 000 soldats, 99 batteries d'artillerie avec 392 canons et 60 escadrons de cavalerie. Pendant ce temps les Hongrois n'ont d'autres recours que de pilonner avec leur artillerie les zones de concentration roumaines. Entre le 27 et le 29 juillet, les Roumains testent les défenses hongroises avec de petites attaques. Ils décident finalement de franchir la Tisza dans le voisinage de Fegyvernek, où la rivière fait un coude. Dans la nuit du 29 au 30 juillet, la rivière est franchie. Le principal point de passage à Fegyvernek a été couvert par des opérations de diversion sur d'autres points du front, où d'intenses duels d'artillerie ont eu lieu. Les Roumains ont réussi à surprendre les Hongrois qui, le 31 juillet, abandonnent les bords de la Tisza et battent en retraite vers Budapest.


Une fois la rivière franchie, les troupes roumaines marchent sur la capitale hongroise. La cavalerie est envoyée en avant afin de découvrir les points de concentration ennemie et de couper les liaisons entre les différents corps de l'armée hongroise. Le 1er août, la plupart des combats ont lieu autour de la ville de Szolnok. Mais à la fin de la journée, les Hongrois envoient des représentants négocier la reddition des combattants. Au centre et au nord, les troupes hongroises sont encerclées et, dans la soirée du 3, elles se rendent ou se désintègrent. Le 3 août voit donc la fin définitive de l'armée rouge hongroise. Le même jour trois escadrons du 6° régiment de cavalerie sont les premières troupes roumaines à entrer dans Budapest. Le 4 août, la majeure partie des forces roumaines entre dans la capitale hongroise où un défilé a lieu. Les troupes roumaines poursuivent malgré tout leur avance jusqu'à la ville de Gyor. A ce moment les combats ont cessé et la guerre est définitivement terminée.

roumain.jpg

                  L'armée roumaine dans Budapest


Les Roumains ont perdu dans les affrontements de juillet un total de 123 officiers et 6 434 soldats dont 39 officiers et 1730 soldats sont morts. Jusqu'au 8 août, les Roumains capturent 1 235 officiers et 40 000 soldats hongrois, s'emparent de 350 canons, de 332 mitrailleuses, de 52 000 fusils et de 87 avions. La Hongrie rouge a dû se défendre seule car si le 1° août 1919, à la demande d'Endre Rudniansky, le gouvernement soviétique décide de diriger toutes les unités internationales vers l'ouest pour soutenir les Hongrois, il est déjà trop tard.


Le 2 août 1919, Béla Kun a effet fuit son pays par la frontière autrichienne. Il rejoint par la suite l'Union soviétique où il sera exécuté lors des purges staliniennes. Un gouvernement socialiste sous la direction de Gyula Peidl s'installe alors à Budapest avec l'aide de quelques représentants des Alliés. Les Roumains occupent alors toute la Hongrie, à l'exception d'une parcelle de territoire autour du lac Balaton. Là, un groupe formé autour de l'amiral Horthy, et armé par les Roumains, forme le noyau de la nouvelle armée hongroise et se prépare à prendre la relève des occupants roumains au début de 1920. La terreur blanche est alors à l'ordre du jour, non seulement contre les communistes mais aussi contre la population juive hongroise. Fusillades et pendaisons sont quotidiennes. Et les Français participent à la curée puisque des officiers français, sur ordre de Franchet d'Esperey, font déporter 600 miliciens rouges hongrois en Algérie et au Maroc.

 

Conclusion

La Hongrie soviétique est née de la guerre et de ses conséquences. Les Hongrois vaincus cherchent alors dans le communisme le moyen de faire face à l'Entente et surtout à ses alliés régionaux qui n'aspirent qu'à dépecer l'antique royaume magyar. L'exemple des bolcheviks russes qui tiennent tête au même moment aux Alliés et aux forces russes blanches apparaît comme un modèle crédible. La force du sentiment national explique en grande partie comment le régime soviétique parvient à créer rapidement une armée rouge qui réussit à remporter des succès indéniables et à conquérir l'ensemble de la Slovaquie.


Mais le destin de la Hongrie soviétique est scellé dès sa naissance. Pour les Alliés l'existence d'un État communiste au cœur de l'Europe centrale est inacceptable, à la fois pour des raisons intérieures que pour des raisons extérieures. La Hongrie ne doit pas être un modèle pour l'Allemagne sinon ce serait remettre en cause la victoire de novembre 1918. Dès lors, encerclées par des adversaires puissants et bien armés et ne pouvant recevoir de soutien de la Russie soviétique, la Hongrie rouge est condamnée à se battre jusqu'à son effondrement. Elle relève le défi avec un certain panache et quelques succès mais ne parvient pas à déjouer l'inéluctable.

 

Bibliographie :

En français :

Bertrand Auerbach, La Dictature du prolétariat en Hongrie, 22 mars-31 juillet 1919, Chiron, Paris, 1923.

Ferdinand Joseph Deygas, L'Armée d'Orient dans la guerre mondiale-1915-1919, Payot, Paris, 1932.

Emile Bujac, Campagnes de l'armée roumaine, 1916-1919, Lavauzelle, Paris, 1933.

Lajos Varjassy, Lajos, Révolution, bolchevisme, réaction, histoire de l'occupation française en Hongrie (1918-1919), Jouve, Paris, 1934.

Arpad Szelpal, Les 133 jours de Béla Kun, Fayard, Paris, 1959.

Jean Bernachot, Les armées alliées en Orient après l’armistice de 1918, Vol 1, L’Armée française d’Orient, L’Armée d’Hongrie (11 Novembre 1918 - 10 Septembre 1919), Imprimerie nationale, Paris, 1970.

Roland Bardy, 1919: La Commune de Budapest , La Tete de Feuille, Paris, 1972.

Dominique Gros, Les Conseils ouvriers, espérances et défaites de la révolution en Autriche-Hongrie, thèse de doctorat en science politique, Université de Bourgogne, 1974.

Dumitru Preda, Vasile Alexandrescu, Costica Prodan, La Roumanie et sa guerre pour l'unité nationale : campagne de 1918-1919, Éditions encyclopédiques, Bucarest, 1995.

 

En anglais :

Rudolf Tőkés, Béla Kun and the Hungarian Soviet Republic: the origins and role of the Communist Party of Hungary in the revolutions of 1918–1919, Hoover Institution on War, Revolution, and Peace, Stanford, 1967.

György Borsányi, The life of a Communist revolutionary, Béla Kun, Colorado Social Science Monographs, New York, 1993.

Thomas Sakmyster, A Communist Odyssey: The Life of József Pogány, Central European University Press, Budapest, 2012.

 

En hongrois :

Jozsef Breit A magyarorszagi 1918-1919 evi forradalmak es a voros haboru tortetnete, Magyar Kirazlyi Leveltar, Budapest, 1925.

Erwin Liptai, A magyar Vörös Hadsereg harcai : 1919, Zrínyi, Budapest 1960 (La plupart des illustrations de cet article sont tirées de cet ouvrage paru dans la Hongrie communiste de Janos Kadar).

 

David FRANCOIS

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9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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