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14 mars 2017 2 14 /03 /mars /2017 07:40

Pascale Nivelle, Histoire du Petit Livre rouge, Tallandier, 2016.

Le missel rouge du maoïsme

Le Petit Livre rouge, ou plutôt les Citations du président Mao selon son titre exact, est certainement l’une des opérations de propagande la plus gigantesque et la mieux réussie du 20e siècle. Pascal Nivelle, ancienne correspondante de « Libération » en Chine, raconte dans un livre plein d’humour l’histoire de ce livre de poche à la couverture plastifiée écarlate, cauchemar de millions de Chinois et missel des petits bourgeois révolutionnaires européens notamment français.

La genèse du Petit Livre rouge a lieu au siège du Quotidien de Tianjin en 1961 quand une documentaliste décide de compiler quelques citations du président Mao afin d’avoir en réserve des paroles du Grand Timonier à publier dans le journal. L’idée et le petit carnet rédigé par cette documentaliste parviennent un jour au directeur du journal de l’Armée populaire de libération qui décide d’enrichir le pensum de sa collègue. L’intérêt de ce militaire pour les paroles de Mao n’est pas innocent. Le président, mis sur la touche après l’échec du Grand Bond en avant, a en effet décidé de reprendre les commandes et d’écarter ses rivaux. Pour cela il souhaite s’appuyer sur l’armée dirigée par son fidèle Lin Biao. La compilation de ces formules mise au point par les militaires plaît à Mao qui décide de la faire publier. La première version sort en 1964 avec une préface de Lin Biao, destinée exclusivement aux soldats. Devant le succès que rencontre le livre, de nouvelles versions sont édités et la diffusion s’élargit à l’ensemble de la population chinoise. Muni d’une couverture rouge en plastique, le Petit Livre rouge est alors diffusé à des millions d’exemplaires dans toutes les provinces du pays. Avec le lancement de la Révolution culturelle en 1966, il devient l’objet d’un véritable culte. Brandi en toutes circonstances comme un talisman, il est lu et récité en boucle avec ferveur par des adolescents qui forment la majorité des Gardes rouges et qui pensent avoir trouvé dans cette lecture les clefs pour révolutionner un pays qui ne leur laisse pas de place.

Très vite, le Petit Livre rouge s’internationalise et devient un objet de fascination pour une frange des intellectuels et de la jeunesse contestataire occidentale qui s’entichent d’une Chine qui leur apparaît plus révolutionnaire et plus dynamique que l’URSS de Brejnev. La Chine est alors à la mode, notamment en France entre le col mao, la chanson de Nino Ferrer « Mao et moa » et « La Chinoise » de Godard. Le maoïsme et son bréviaire en plastique écarlate enflamment les esprits à l’École normale supérieure, à la Sorbonne ou à Saint-Germain des Prés plus sûrement qu’à Billancourt. Les voix isolées qui, comme celle du sinologue belge Simon Leys, essayent de montrer que derrière le Petit Livre rouge se cache une féroce lutte au cœur du pouvoir chinois, accompagnée de persécutions et de crimes causant la mort de centaines de milliers de personnes, sont condamnées et ostracisées.

La mort, en septembre 1971, de Lin Biao, signe le déclin du Petit Livre rouge. Le maréchal a trahi Mao et l’opprobre qui s’abat sur sa mémoire rejaillit sur l’ouvrage dont il fut le concepteur. Les Chinois veulent également tourner la page éprouvante de la Révolution culturelle. En France, la vague maoïste dure encore quelques années avant que ses adeptes ne jettent aux orties leurs idoles de jeunesse pour ne conserver qu’un silence, bien souvent honteux, sur leur passé rouge. Il est vrai que nombre d’entre eux se sont intégrés « comme des poissons dans l’eau » à la société libérale, n’hésitant pas à dénoncer le passé trouble de leurs adversaires.

Le livre de Pascale Nivelle alterne donc entre tragédie et ridicule pour raconter l’histoire d’un livre hors-norme, non pas comme chef-d’œuvre de réflexion ou de littérature, mais comme l’un des plus efficaces instruments de propagande maoïste. Cet évangile selon Mao qui marqua une époque méritait bien un livre que les lecteurs prendront plaisir à découvrir tant il nous replonge dans un passé oublié et pourtant pas si lointain.

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communismeetconflits - dans Communisme chinois Mao Zedong Maoïsme

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GuideICSerge Wolikow, Alexandre Courban, David François, Christian Oppetit, Guide des archives de l'Internationale communiste, 1919-1943, Archives nationales-MSH Dijon, Paris-Dijon, 2009. 

9782749110356Serge Wolikow (sld), Pierre Sémard, Le Cherche-Midi, Paris, 2007, (Rédaction du chapitre "La mise à l'écart (1929-1932)")

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