« Général dans trois armées », tel est le titre de gloire de Karol Swierczewski qui a effectivement été officier supérieur respectivement dans l'armée
soviétique, l'armée républicaine espagnole et pour terminer l'armée polonaise. Voici donc un destin original mais pas forcément singulier. Le maréchal Rokossovski, lui aussi Polonais de
naissance, a dirigé les armées soviétiques puis polonaises. L'internationalisme militaire, qui sous-tend ces parcours, est néanmoins une spécificité du mouvement communiste international où
l'idéologie prime la nation et où le monde se divise en deux : les communistes et les autres, tous ennemis à différents titres. Retracer le destin de Karol Swierczewski c'est donc
nécessairement parcourir l'histoire du communisme et surtout mettre à jour son indissociable aspect guerrier et militaire.
Au service de la Révolution.
Karol Swierczewski est né à Varsovie le 22 février 1897 dans une famille ouvrière. A la fin de l'école primaire, à l'âge de 12 ans, il devient apprenti tourneur. Sa
vie bascule en septembre 1915 quand les troupes du Kaiser Guillaume II pénètrent en Pologne et que l'usine Gerlach, où il est alors assistant tourneur, est transférée par les autorités russes à
Kazan. Karol, ainsi que le reste de sa famille, se retrouve alors en Russie. En janvier 1916 le jeune Swierczewski est tourneur à l'usine Provodnik de Moscou avant d’être incorporé dans l'armée
russe.
En 1917, au moment de la Révolution d'Octobre, il retourne à Moscou et soutient les bolcheviks. Pour expliquer ce choix et surtout lui donner un fondement politique
les biographies parues en Pologne communiste avancent que Swierczewski aurait été en Pologne membre du SDKPiL, la Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie, un parti dont
l'internationalisme intransigeant doit beaucoup à deux de ses principaux dirigeants, Karl Radek et Rosa Luxemburg. Rien n'est moins sûr. A Moscou, Swierczewski devient garde rouge dans le
quartier de Lefortovo avant de rejoindre l'Armée rouge en 1918 avec qui il combat d'abord les mouvements antibolcheviques dans la région de Moscou.
Swierczewski est ensuite envoyé sur le front sud où il affronte les troupes blanches commandées par Alexei Kalédine et les unités de l'hetman Skoropadsky en
Ukraine. En novembre 1918 il entre au parti bolchevik et entame son ascension dans la hiérarchie militaire. En 1919, Swierczewski commande une compagnie du 123° régiment d'infanterie de l'armée
rouge qu'il dirige notamment lors de la bataille du Donets face aux troupes de Krasnov et Denikine. Pour son action durant la guerre civile il est nommé chef de bataillon et reçoit en 1920
l'Ordre du Drapeau rouge.
Swierczewski jeune soldat de l'armée rouge, 1920.
Durant la guerre entre la Russie bolchevique et la Pologne, qui débute au printemps 1920, Swierczewski demande à combattre et rejoint l'armée de Toukhatchevski. Il
dirige alors le 5° bataillon du 57° régiment d'infanterie. En juin il est blessé à deux reprises lors de la bataille de Chobnoje et de juillet à octobre 1920 il se trouve à l'hôpital pour soigner
ses blessures.
En octobre 1920 Swierczewski devient commandant d'un bataillon de tirailleurs à Arkhangeslsk, puis il part suivre un cours à l’École supérieure d'infanterie avant
de devenir en février 1921 commissaire politique de l'école polonaise des Communards rouges à Moscou.
Quand éclate l'insurrection paysanne dirigé par Antonov dans la région de Tambov, il reprend du service actif et participe à l'écrasement de la rébellion. Il est
ensuite envoyé à l’École supérieure des commandants de régiment d'infanterie dont il sort diplômé en 1924. Il intègre alors l'académie militaire Frunze dont il sort diplômé en 1927.
Swierczewski et son épouse dans les années 1920.
En sortant de l'académie Frunze, Swierczewski devient chef d'état-major d'un régiment de cavalerie puis en 1929 il intègre le 4° bureau de l'état-major général de
l'armée rouge et devient ainsi officier des renseignements militaires soviétiques. Il travaille à ce poste jusqu'en 1931 avant d’être mis à la disposition de l'état-major général. C'est dans ce
cadre qu'il dirige, au sein de l'école militaire et politique, la formation des militants communistes de la section polonaise du Komintern qui ont été choisir pour devenir les agents du GRU/NKVD
en Pologne.
Le général Walter en Espagne.
Le soulèvement des troupes nationalistes espagnoles contre le gouvernement républicain en juillet 1936 marque un tournant dans la vie de Swierczewski puisqu'en
octobre 1936 il est envoyé en Espagne sous le nom de général Walter. Son rôle est important puisqu'il participe au comité d'organisation des Brigades internationales qui se transforme rapidement
en conseil militaire.
Il prend ensuite le commandement de la 14° Brigades internationale, qui compte 3 000 combattants et comprend les bataillons français, « La Marseillaise »
et « Henri Barbusse ». Cette prédominance française explique que le commissaire politique de la brigade soit le Français André Heussler. En décembre 1936 la brigade part en
Andalousie pour bloquer la progression nationaliste en direction d'Andujar. Elle mène de dure combat autour de Lopera mais parvient à sauver la ville de Jaen. C'est lors de cette opération que
Delassale, le commandant du bataillon « La Marseillaise », est condamné à mort et exécuté pour trahison. Swierczewski se fait alors connaître par ses méthodes répressives et son goût de
l'alcool. Il se lie également d'amitié avec l'écrivain américain Ernest Hemingway à qui il sert de modèle pour le personnage du général Golz dans Pour qui sonne le glas.
Le général Walter en Espagne, 1937.
Au début juin 1937, Walter est mis à la tête de la 35° division qui comprend la 14° brigade, désormais dirigée par le Français Jules Dumont. La division est alors
engagée dans une offensive dans la sierra de Guadarrama, en direction de Ségovie, dans le but de soulager le front nord où les nationalistes menacent Bilbao. Si en Andalousie, Walter a laissé ses
volontaires encore inexpérimentés se faire massacrer, il ne recule pas à nouveau à sacrifier ces hommes lors de cette offensive qui se solde par un échec. La dureté de Walter, qui n'hésite pas à
donner l'ordre de mitrailler ceux qui reculent et d'abattre les fuyards, provoque des remous au sein des brigades. Le 6 juin il est relevé de son commandement opérationnel. En juillet la 35°
division participe à la grande offensive sur Brunete, opération qui de nouveau saigne à blanc les Brigades.
Walter quitte l'Espagne début mai 1938, après la déroute d'Aragon, et rejoint l'URSS en juin. De retour en Union Soviétique, Swierczewski est mis à la disposition
du bureau du personnel du commissariat du peuple à la Défense. Il est également décoré de l'Ordre de Lénine et de l'Ordre du Drapeau rouge. Il reste pourtant inactif pendant environ un an et
rédige un mémoire sur les combats en Espagne. Il échappe aux purges, contrairement à son frère Maximilien qui a été arrêté par le NKVD avant d’être libéré en 1940. Swierczewski retrouve en 1940
un poste d'enseignant à l'Académie Frunze, poste qu'il occupe jusqu'en 1941.
Face à l'Allemagne nazie
En juin 1941, après le déclenchement de l'attaque allemande contre l'URSS, il demande en tant que major-général à rejoindre le front. Si le commandement soviétique
connait son incompétence et son alcoolisme, le général Joukov ne veut pas déplaire à Staline qui a personnellement appuyé pour que Swierczewski serve en première ligne. Ce dernier est alors nommé
commandant de la 248° division d'infanterie. Son ivresse chronique a des conséquences catastrophiques comme le montre le général Berling dans ses mémoires. Ses erreurs de commandement, aggravé
par son penchant pour l'alcool, conduisent en effet la division à la déroute. En novembre 1941 elle se retrouve encerclée dans la poche de Viazma et anéantie. Swierczewski parvient pourtant à
survivre et au bout d'un mois il rejoint les lignes soviétiques. Victime d'une pneumonie il est hospitalisé à Moscou et mis à la disposition du général Rokossovski .
A sa sortie de l’hôpital Swierczewski est chargé de l'instruction des soldats à l'école d'infanterie d'Achinsk en Sibérie, puis de février 1942 à juin 1943 il
dirige l’École militaire de Kiev.
Swierczewski
en uniforme de l'armée rouge.
En aout 1943 Swierczewski est choisi par Staline pour participer à la mise sur pied de l'armée populaire polonaise en territoire soviétique sous les ordres du
général Berling. La 1° division d'infanterie polonaise devient bientôt un corps d'armée et Swierczewski en devient le commandant en second.
En janvier 1944 Swierczewski entre au bureau central des communistes polonais en URSS. En mars 1944 il est nommé général de division et s'occupe plus
particulièrement de l'intendance de la 1° armée polonaise. Mais son alcoolisme persistant et son mépris pour les conditions de vie des soldats provoquent de nombreux conflits avec Berling. Il est
écarté de son poste de septembre à décembre 1944 au moment de la formation de la 2° armée polonaise dont il a pourtant pris le commandement en aout. Fin décembre 1944 il reprend la tête de la 2°
armée polonaise qui n'est pourtant opérationnelle qu'à partir de janvier 1945. Là il se fait encore remarquer pour son incompétence et sa dureté. De nombreuses controverses existent ainsi sur son
rôle dans les jugements que rendent les cours martiales de la 2° armée à Lublin contre des anciens membres de l'Armée secrète, l'AK.
Fin février 1945, la 2°armée renforce le 1° front biélorusse autours de Gorzov en Poméranie, puis en mars elle rejoint le 1° front ukrainien au nord de Breslau en
Silésie. En avril, en préparation de la prise de Berlin, les Polonais se regroupent en Lusace sur les bords de la Neisse.
Ils reçoivent alors pour mission d'avancer sur Bautzen et Dresde le 16 avril. L'armée franchit la Neisse, mais désobéissant aux ordres de Koniev, Swierczewski
avance sur Dresde sans protéger son flanc sud. Les Allemands, conscients de la brèche dans le dispositif polonais, se regroupent et contre-attaquent. Les lignes de communication et
d'approvisionnement des Polonais sont vite coupées, des unités sont encerclées et détruites. La 2° armée doit reculer et les Allemands reprennent Bautzen. Seuls l'arrivée de renforts soviétiques
parvient à éviter un désastre. L'incompétence de Swierczewski mais également ses nombreux conflits avec ses subordonnés sont responsables des pertes énormes lors de cette bataille qui devient
d'ailleurs l'une des plus coûteuses en termes de pertes humaines de l'histoire militaire polonaise.
En mai 1945, la 2° armée participe à la dernière grande offensive soviétique de la guerre en Europe en direction de Prague. Les Polonais prennent ainsi part en
Tchécoslovaquie à la libération de Melnik prés de Prague.
Troupes polonaises
au défilé de la Victoire à Moscou, juin 1945.
Héros de la Pologne communiste.
Le 11 mai 1945 Swierczewski est nommé général de division et le 3 juin inspecteur général de l'armée chargée des forces polonaises à l'étranger. A ce titre il est
nommé en septembre 1945 commandant de l'armée polonaise en Occident avec la mission de rapatrier en Pologne les unités qui ont combattu dans les armées anglo-saxonnes. Mais face à l'opposition du
gouvernement britannique le commandement de l'armée polonaise en Occident est supprimé. Swierczewski devient alors commandant du 3° district militaire à Poznan puis en février 1946 vice-ministre
de la Défense nationale.
Sur le plan politique il entre en août 1944 au comité central du Parti ouvrier polonais et devient membre du Conseil national. En 1947, à la suite des élections
manipulées par les communistes, il entre à la Diète législative où il fait figure de parfait stalinien.
Swierczewski en 1947.
En mars 1947 il visite le sud-est de la Pologne et notamment les troupes qui, dans les montagnes de Bieszczady, affrontent régulièrement les insurgés ukrainiens
nationalistes de l'UPA (Armée insurrectionnelle ukrainienne). Le 28 mars alors qu'il se rend en voiture à Cisna pour inspecter les gardes-frontières il trouve la mort lors d'une embuscade tendue
à Jablonski, prés de Baligrod, par une unité de l'UPA.
Malgré l'envoi d'une commission d’enquête, cette mort est l'objet de multiples controverses, d'autant que pour certains historiens elle tombe au bon moment pour le
gouvernement afin de servir de prétexte au déclenchement de l'opération Vistule, c'est à dire la déportation de 150 000 Ukrainiens vers l'ouest et le nord de la Pologne afin de démanteler
définitivement l'UPA.
Après sa mort, le gouvernement fait de Swierczewski un héros national et une icône de la propagande communiste. Les conditions de sa mort, face à l'ennemi, le
transforment en martyr. Son nom est alors donné à des rues, des écoles, des entreprises. Des livres à sa gloire sont publiés qui popularisent les légendes et les mythes du général des trois
armées, bien loin de la vérité historique. En 1953 un film sur sa vie est réalisé et à partir de 1967 son portrait est même porté sur les billets de 10 zlotys.
Son rôle historique est largement revisité après la chute du régime communiste en Pologne. En 2003 la principale organisation polonaise d'anciens combattants
demande à l'Institut de la mémoire nationale-Commission de poursuite des crimes contre la nation polonaise d’enquêter sur les crimes commis par Swierczewski. Les lieux publics qui portaient son
nom ont été débaptisés depuis 1990. Mais si sa statue érigée à Poznan est déboulonnée en 2009 celle qui se trouve à Bieszczady est toujours en place, la population s'est en effet majoritairement
exprimée contre son démontage.
Bibliographie.
Les ouvrages concernant Karol Swierczewski sont essentiellement écrit en polonais.
Saturnina Leokadia Wadecka, Generał Karol Świerczewski "Walter": 1897-1947, Wydaw Ministerstwa Obrony Narodowej, Warszawa, 1976
Lech Wyszczelski, Generał broni Karol Świerczewski Walter, Wydawnictwo MON, Warszawa, 1987.
(Ces deux ouvrages parus en Pologne communiste avant 1989 sont avant tout des œuvres de propagandes mais restent néanmoins utiles pour fixer les grandes lignes de
la vie de Swierczewski).
Czesław Grzelak, Henryk Stanczyk, Stefan Zwoliński, Bez możliwości wyboru. Wojsko Polskie na Froncie Wschodnim 1943–1945, Bellona, Warszawa, 1993 (ce livre
retrace sans complaisance l'histoire des forces polonaises sur le front de l'Est et le rôle tenu par Swierczewski).
Zygmunt Berling, Wspomnienia, Polski Dom Wydawniczy, Warszawa, 1990, (les mémoires du général Berling, parus seulement après la chute du régime
communiste).
Mariusz Patelski, « Karol Świerczewski Walter – komunista i generał » dans Historia, n°32, 1996, pp. 73–82.
Grzegorz Motyka, W kręgu "Łun w Bieszczadach", Rytm, 2009 (Sur la mort de Swierczewski)
Antonina, Marta y Zosia Swierczewski, Soldado de tres ejércitos. Karol Swierczewski, General Walter, Asociación de Amigos de las Brigadas Internacionales,
Madrid, 2007, (Ce livre est la traduction en espagnol d'un livre paru en Russie en 1993 ecrit par des membres de la famille du général Swierczewski dont sa fille).
Remy Skoutelsky, L'Espoir quidait leurs pas. Les volontaires français dans les Brigades internationales, 1936-1939, Grasset, Paris, 1998 (Sur le role de
Walter en Espagne).
David FRANCOIS