Wendy Slater, The Many Deaths of Tsar Nicholas II: Relics, Remains and the Romanov, Routledge, 2007.
Le livre de Wendy Slater n'est pas une nouvelle version de l'histoire de l’exécution des Romanov mais plutôt l'étude d'un fantôme : celui de la dernière famille impériale qui continuent de hanter les affaires politiques et religieuses de la Russie post-soviétique. Il s'ouvre par le récit, à partir des témoignages des gardes de la maison Ipatiev, aussi bien ceux qui témoignèrent face aux enquêteurs de l'armée blanche qui prit Iekaterinbourg que de ceux qui survirent à la Révolution. A partir de ces différents témoignages Slater écrit un récit unique de la mort des Romanov et du sort qui fut réservé à leurs dépouilles. Puis l'auteur se déplace dans l'URSS de la fin des années 1970 elle montre comment une poignée d'individus s’appuyant sur de rares indices et un peu de chance parvinrent à retrouver les restes des Romanov. La découverte resta secrète car le sort des Romanov restait encore un tabou sous Brejnev. Avec la chute du régime communiste le secret fut révelé et les autorités russes procédèrent à l'exhumation des restes. L'auteur relate alors les conditions peu scientifiques de l'opération et les pérégrinations et polémiques entourant l'identification des corps.
Le livre prend alors une tournure nouvelle puisqu'au lieu de chercher à expliquer ce qui s'est réellement passé dans la nuit du 17 au 18 juillet 1918 à partir des témoignages et découvertes scientifiques, Wendy Slater étudie les différentes versions données de la mort des Romanov. Une des histoires les plus terrifiantes est celle qui raconte que la tête du tsar, voire de la tsarine, fut envoyé à Moscou pour prouver aux dirigeants bolcheviques la réalité de la mort de Nicolas II puis détruit. Pour expliquer la sauvagerie du massacre de la famille impériale, certains récits n'hésitent pas à évoquer un meurtre rituel, explication qui permet de donner un contenu antisémite puissant à l’événement et qui reste encore populaire dans les milieux nationalistes russes.
Lors de l'exhumation des corps de la famille du tsar en 1991 l'on découvrit qu'il manquait deux corps, celui de l'une des filles de Nicolas et surtout celui de l'héritier le tsarevitch Alexeï, ce qui permit de relancer les spéculations sur sa survie. Wendy Slater montre que les faux héritiers se succèdent au début de la période soviétique, certains finir exécuter ou déporter au goulag. La chute de l'URSS permet un retour, sans risque cette fois, des prétendants, ou plutôt de leurs descendants. Pour Slater la floraison de faux fils ou filles du tsar et la fascination du public pour ces histoires répondent à un besoin de la psyché humaine face aux catastrophes notamment quand elles impliquent des jeunes gens.
Le processus de sanctification de Nicolas et de sa famille est également étudié de façon très fine. Après avoir relaté les miracles liés aux icônes de Nicolas Slater montrent que si la piété et les conditions de la mort de la famille impériale justifient la vénération dont elle est l'objet de la part de l'Eglise orthodoxe, la vie de Nicolas ne fut pas un exemple de sainteté.
Si parfois l'ensemble de l'ouvrage peut sembler décousu, l'auteur a réussi le pari d'une histoire totale de la famille du dernier tsar après 1918 et de son impact culturel par le biais du mythe des survivants, les icônes, photographies et la vénération de la famille comme martyre. L'image romantique et sentimentale de la famille Romanov est largement égratignée. L'auteur n’oublie pas d'indiquer que le destin des Romanov s’insère également dans les luttes politiques qui secouent la Russie post-soviétique.
L'ouvrage est accompagné d'un appareil de note, d'un index et d'une bibliographie conséquente qui permettent d'asseoir une étude originale et stimulante. Depuis la parution du livre de Wendy Slater les corps de Marie et Alexeï ont été retrouvé en 2007 et leurs identités confirmés par des tests ADN en 2008.